FIGURATIF ART
Une esthétique de l'ambiguïté
L'histoire de l'art nous montre la figuration plastique marquée assez tôt par l'empreinte du « musée imaginaire ». Toute la mémoire culturelle conspire à superposer les influences et à enchevêtrer les sens. La destruction, au début du xxe siècle, de l'espace illusionniste a donné carrière à une herméneutique sans fin. La figuration ne se donne plus pour but spécieux de représenter point par point une « situation objective », dès lors qu'à la faveur de simplifications, d'ellipses ou de schématisations, elle introduit, au su ou à l'insu de l'auteur, des énigmes. L'œuvre de tout grand créateur recèle une part du passé de l'art et enferme un corps d'allusions conceptuelles. Toute représentation, disait Leibniz, est à la fois métaphore et métonymie. L'art récent ne manque pas de privilégier cette dernière fonction, à l'instar de ce que nous montre l'imagerie publicitaire ; la célèbre affiche de Cassandre vantant le « Nord express » a pris valeur exemplaire à cet égard. L'objet principal de la représentation y est absent ; seule la voie est imagée, au titre de complément nécessaire, conformée de manière à évoquer la vitesse, qui est le thème premier de la composition. Ici encore la figuration, subordonnée au développement discursif d'une idée, est organisée de façon à dévoiler quelque ambiguïté instigatrice du déchiffrement. Or, l'ambiguïté ne serait-elle pas, comme objet esthétique, un ressort majeur de l'art figuratif ?
Ce ressort joue, par exemple, dans la conscience de qui contemple une œuvre « tachiste » ou « informelle », ou plus généralement des objets nés d'une violence de hasard contre la matière. Projections, lacérations, écrasements, grattages impulsifs donnant lieu à des configurations qui ne peuvent avoir d'autre statut que de se représenter elles-mêmes. Pourtant, il se produit, assez souvent, dans ces œuvres, des images par accident. Le regard le moins prévenu reconnaît comme figés dans une gangue les linéaments physionomiques ou le filigrane de quelque animal ; les nuages, les roches et les murs sont riches de tels simulacres. Et s'agissant d'une « œuvre » engendrée pulsivement avec le minimum de prévision dans la silencieuse opacité de la matière, à l'imitation supposée de la nature, l'intention non figurative se trouve trahie par le hasard de la fabrication.
L'homme n'échappe pas à son habitude physionomique, éduqué qu'il est à discriminer dans l'assaut des impressions sensibles celles qui sont pertinentes à ses intérêts primordiaux. Le visage, avec ses variétés expressives, se réduit aisément à des schèmes pictographiques élémentaires qui ont connu une longue fortune dans la pédagogie du dessin. Les expériences de Sander ont montré qu'il est plus facile d'apprécier la distance de deux points quand ceux-ci sont enclos dans le contour d'un visage. Les jeunes animaux eux-mêmes paraissent sensibles à des figurations schématiques de la tête de leurs parents nourriciers, et manifestent par leurs réactions que des signes de substitution peuvent être inclus dans les programmes opératoires des organismes. On sait encore l'intérêt porté par les psychologues à la « lecture » des taches du test de Rorschach et, à l'inverse, le parti que tirent certains artistes de la réorganisation plastique de trait ou de taches procurées et choisies au hasard.
Structures ambiguës et fonction de substitut sont la condition de l'esthétique figurative, qui reflète la tension fondamentale entre identité et altérité dans la même conscience. C'est l'univocité du sens qui définirait donc le champ du figuratif non artistique. Ce qui convient aux images que les sociétés industrielles sécrètent pour le besoin de[...]
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Écrit par
- Jacques GUILLERME : chargé de recherche au C.N.R.S.
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