GOTHIQUE ART
L'approche de l'art gothique a été profondément renouvelée depuis la fin des années 1970 à la suite d'une remise en cause des thèses énoncées au milieu du xixe siècle. Les schémas traditionnels ont éclaté à la suite de recherches qui concernent d'abord l'architecture, mais également les autres techniques. La théorie fonctionnaliste élaborée par Viollet-le-Duc, qui a servi d'axe de réflexion pendant un siècle, avait enfermé la recherche dans un tel carcan que des pans entiers de l'histoire de l'architecture se sont trouvés exclus du champ de celle-ci : l'Allemagne, l'Angleterre, l'ouest et le midi de la France. Leur profonde originalité, qui s'éloigne de la conception gothique élaborée dans le nord de la France, enrichit la vision que l'on peut avoir de l'art gothique dans son ensemble. Il faut dire que la conception linéaire de l'histoire, fondée sur le postulat de l'évolution des formes, est frappée d'un si grand nombre d'exceptions qu'elle se révèle aujourd'hui paralysante. Elle laisse le long de son parcours définitif des œuvres majeures qui ont le tort de ne pas s'inscrire dans la continuité (la cathédrale de Bourges, par exemple). L'histoire de l'art n'est plus réductible à la seule évolution des formes. Les retours en arrière lui appartiennent comme les fantastiques avancées qui laissent souvent certaines œuvres isolées dans leur milieu. Le chef-d'œuvre ne se reconnaît pas seulement à sa modernité. En outre, des champs entiers de l'histoire de l'art n'avaient guère retenu l'attention autant qu'ils le méritaient. En architecture, le monde religieux avait servi à définir la conception gothique. La prise en compte de l'architecture civile, de l'architecture édilitaire, de l'architecture militaire oblige à nuancer les affirmations concernant la localisation des progrès techniques. Dans d'autres domaines que celui de l'architecture, l'apport se révèle plus novateur encore par la découverte et l'exploitation de nouveaux champs : l'étude de l'enluminure n'en est qu'à ses débuts ; les arts précieux demeurent la grande interrogation lorsqu'on admet que les chefs-d'œuvre ont pour la plupart disparu. On sait ce qu'a apporté sur ce point le corpus des émaux limousins. Le rôle mieux perçu du vitrail dans son rapport avec l'architecture a permis de saisir la complexe dialectique que le verre entretient avec la pierre. Une nouvelle estimation de l'échelle des valeurs dans le domaine de la sculpture a permis de prendre en compte la fantastique créativité de l'Europe centrale au xve siècle. Par là même, le monde gothique se révèle plus riche qu'on ne le croyait jusqu'à une date récente. Ce que l'on appelait l'automne, parfois le déclin du Moyen Âge, est une période d'intense création. Que l'on songe seulement à la technique inventée alors, la gravure, qui va diffuser à travers l'Europe entière une nouvelle conception esthétique.
Au-delà de cette diversité qui tient aux pays, aux époques, il existe une réalité gothique qui se définit en grande partie par opposition au monde roman et à la Renaissance. Il est donc indispensable de bien mettre en évidence ce qui relève de la continuité – la technique –, ce qui appartient à la rupture – le style. L'ogive, inventée par les architectes romans, ressortit à la première mais marque la seconde lorsque les architectes gothiques en firent un moyen de définir un style. Son emploi leur permit de bouleverser la conception spatiale de leurs monuments. Aussi est-ce dans ces ruptures qu'il conviendrait d'analyser l'art gothique et à travers celles-ci de concevoir l'unité qu'il préserve malgré tout.[...]
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Écrit par
- Alain ERLANDE-BRANDENBURG : conservateur général honoraire du Patrimoine
Classification
Médias
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