GOTHIQUE ART
Le gothique maîtrisé : 1190-1240
Entre 1190 et 1240 s'élabore une conception fondée sur un nouvel équilibre entre le matériel et l'immatériel. Le mouvement, inauguré en 1194 à la cathédrale de Chartres, s'étend à toutes les techniques : dans l'architecture, il se manifeste par un rapport renouvelé entre les pleins et les vides. La sculpture redevient monumentale, de même que le vitrail et l'enluminure. Les recherches « maniéristes » des années 1170 sont abandonnées. Cette rupture est particulièrement brutale en architecture : les effets illusionnistes, le traitement subtil de la lumière, la démultiplication de l'espace font place à un parti clairement affirmé dans le traitement du mur. Cette puissante leçon devait être retenue durant une quarantaine d'années avant d'être remise en cause non moins brutalement, en 1231, par l'architecte du chœur de Saint-Denis. Cependant, l'art gothique ne conquiert pas facilement les régions qui l'avaient ignoré jusqu'alors. L'Empire demeure rétif par attachement à des formules majestueuses. L'Espagne, l'Angleterre sont conquises, même si elles apportent l'une et l'autre à la nouvelle esthétique une coloration particulière. L'Italie, malgré un attachement à l'art roman, se laisse toucher, mais de façon très marginale.
Cette période correspond aux immenses entreprises architecturales : elles retiennent l'attention, stigmatisent les énergies, rythment l'activité artistique, enfin accompagnent l'évolution des formes quand elles ne la provoquent pas. La France du Nord demeure le grand chantier où s'élaborent les expériences qui deviennent aussitôt exemplaires.
L'architecture
Au xiie siècle, la décennie de 1180 apparaît comme une pause : de grandes cathédrales sont en cours de construction suivant des schémas élaborés une vingtaine d'années auparavant. Aucune nouvelle cathédrale n'est entreprise, en revanche se pose la délicate question des perfectionnements techniques et, de façon plus spécifique, de celui de l' arc-boutant. Jusqu'à une date récente, il était admis que cet organe de contrebutée avait vu le jour au moment où les fondations de la nef de Notre-Dame de Paris étaient réalisées. Ainsi s'explique l'alternance des supports dans les collatéraux. Mais, pour des raisons d'harmonie générale, l'architecte n'avait pas osé en tirer la conclusion ultime, c'est-à-dire la suppression des tribunes devenues inutiles dans l'équilibre du vaisseau central. Il devait appartenir à la génération suivante d'en tirer les conséquences ultimes suivant des formules qui peuvent parfois s'opposer si l'on compare les cathédrales de Bourges, de Chartres et de Soissons.
Le parti adopté à Bourges (1195) est si exceptionnel que l'on comprend qu'il n'ait pu servir de modèle, même si les architectes du Mans et de Tolède en ont conservé un reflet très estompé. Trois traits concernant le plan mettent en évidence son originalité : les doubles collatéraux, l'absence de transept, l'absence de chapelles rayonnantes, du moins à l'origine. La volonté est manifeste d'intégrer ces différents espaces. Elle est rendue possible par le parti pyramidant adopté avec les trois hauteurs de voûtes : 37 mètres, 27 mètres, 9 mètres. L'élévation du vaisseau central, réduite à trois niveaux, se trouve reproduite suivant des proportions moindres dans le collatéral intérieur ; elle est à deux niveaux dans le collatéral extérieur. La hauteur des grandes arcades, leur largeur, la réduction des supports – qui conservent un souvenir de l'alternance en raison du couvrement sexpartite – ont permis d'ouvrir les espaces les uns sur les autres, tout en ménageant des points de vue toujours renouvelés.[...]
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Écrit par
- Alain ERLANDE-BRANDENBURG : conservateur général honoraire du Patrimoine
Classification
Médias
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