GOTHIQUE ART
L'Italie gothique
L'Italie des xiiie et xive siècles soulève le délicat problème de ses choix stylistiques. Au xiiie siècle, comme on l'a récemment mis en lumière, des références nordiques se font jour ; au xive siècle, la tendance sera inversée, les artistes nordiques s'ouvrent à l'esthétique nouvelle venue de la Péninsule. L'épisode d'Avignon qui fait appel à Simone Martini apparaît comme l'aboutissement d'une réelle fascination entre les deux cultures. Cependant, en profondeur, le Nord et l'Italie poursuivent chacun une voie qui s'affirme dans son autonomie. Dans l'Italie du xiiie siècle, la référence fondamentale reste l'esthétique byzantine, avec laquelle Pisano et Giotto ont réussi à rompre. Nicola Pisano, en sculpture, renouvelle fondamentalement la formule lorsqu'il exécute la chaire du baptistère de Pise (1260). Il fonde sa nouvelle esthétique sur une connaissance très approfondie de l'art antique sur lequel les artistes de Frédéric II avaient déjà attiré l'attention et dont il avait admiré quelques sarcophages au Campo Santo ; mais aussi sur la sculpture française du début du xiiie siècle, qu'il avait sans doute connue directement. Ses deux adjoints lors de l'exécution de la chaire de Sienne (1265), Giovanni, son fils, et Arnolfo di Cambio, adoptent une voie différente. Le premier se veut « gothique », si l'on en croit les œuvres destinées à la façade de la cathédrale de Sienne (1314-1319), et réalise à la fin de sa vie la synthèse entre cette esthétique et l'art antique. Quant à Arnolfo di Cambio (mort en 1302), il tente de renouer avec une conception plus monumentale lors de l'exécution d'importantes commandes : par exemple le saint Pierre coulé en bronze à Saint-Pierre de Rome.
En peinture, Giotto fait pendant à Giovanni Pisano (1266 ou 1267-1337). Il rompt lui aussi avec la tradition byzantine et témoigne d'une culture nordique tout aussi affirmée. Sa personnalité apparaît sans ambiguïté dans les œuvres postérieures au chantier de Saint-François-d'Assise, ce dernier, réalisé par de nombreux artistes, posant de difficiles problèmes d'attribution. Dans la chapelle Scrovegni à Padoue, dans les chapelles Bardi et Peruzzi à Santa Croce de Florence, Giotto a maîtrisé la question du rapport entre le monde plan et l'espace et réussi à exprimer l'histoire dans son mouvement. C'est cette inquiétude qui le conduit à prendre en compte l'architecture et la sculpture (campanile de Florence). À Sienne, Duccio (1260 env.-1380) s'oppose essentiellement à cette conception monumentale lorsqu'il exécute la Maestà (1308-1311), dont le succès immédiat met en évidence la correspondance de son style avec la sensibilité contemporaine. Il fait éclater dans toute sa production un goût pour les jeux de courbes et les couleurs saturées, montrant ainsi qu'il participe au gothique international. Simone Martini (mort en 1344) se rallie à cette esthétique dont il assure le prodigieux succès par une étonnante aisance du dessin et un coloris d'une rare subtilité. Les deux frères Lorenzetti restent étrangers à ce raffinement extrême au profit d'un goût certain pour la narration. Dans sa conception monumentale, Ambrogio montre une ouverture à l'art de Giotto, resté jusque-là étranger à l'école siennoise.
Le prodigieux mouvement lancé dans l'Italie du Nord par Giotto et par Duccio sera brutalement interrompu par la Peste noire en 1348. La moitié de la population des villes de Florence et de Sienne disparaît. Le traumatisme est si fort qu'il provoque un accroissement des commandes au contenu religieux, les artistes demeurant fidèles à la double tradition du début du siècle. La rupture définitive avec le passé devait se réaliser au début du siècle suivant avec[...]
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Écrit par
- Alain ERLANDE-BRANDENBURG : conservateur général honoraire du Patrimoine
Classification
Médias
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