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INFORMEL ART

Selon qu'on y reconnaît une catégorie critique ou un opérateur théorique, le concept d'« informel » revêt rétrospectivement, dans la conjoncture artistique de l'après-guerre, une extension très variable : soit qu'il serve à distinguer et à qualifier une production picturale strictement datée et localisée (et qui n'aura connu, en définitive, qu'une fortune limitée), celle du Paris des années 1950 ; soit qu'il dénote au contraire un trait programmatique récurrent qui confère aux entreprises contemporaines une unité souterraine, et peut-être paradoxale.

Un art autre ?

À en croire Jean Paulhan, le terme aurait été introduit, en 1951, dans le lexique de la critique, par Michel Tapié, à propos de dessins de Camille Bryen qui lui paraissaient « transcender l'informel » : ce même Michel Tapié qui devait bientôt se faire le propagandiste d'un « art autre », un art qu'il voulait ordonné à d'autres valeurs, répondant à une autre définition, obéissant à une autre logique que l'art traditionnel, et sous la bannière duquel il n'hésitait pas à enrôler bon nombre d'artistes parisiens, au premier rang desquels Wols, Dubuffet et Fautrier. Wols (pseudonyme de Wolfgang Schultze), mort en cette même année 1951, et dont la production, brève autant que fébrile, allait prendre presque aussitôt figure de mythe d'origine, celui-là de la peinture «   tachiste » (autre mot introduit en 1954 par Pierre Guéguen) ; Jean Dubuffet (1901-1985), qui se voulait dès lors l'apôtre de l'«   art brut », libre de toute détermination ou empreinte culturelle, mais que beaucoup confondront, par un contresens où se dénonce un effet idéologique, avec la collecte d'objets de rebut ou de formations naturelles n'obéissant à aucun plan régulier ou symétrie – racines, éponges, etc. (on est loin de la coquille de Valéry) ; Jean Fautrier enfin (1898-1964), dont on aura fait, à tort ou à raison, le parangon de l'informel. Toutes entreprises nettement individualisées, à la différence des productions de série qui encombraient alors les cimaises, mais qui n'en présentaient pas moins un certain nombre de traits communs dont la mise au jour peut paraître justifier le recours à l'étiquette « informel ». C'est, comme l'observe Jean Paulhan, une précipitation dans l'exécution, un brouillage, un renversement du sens (de la direction) dans lequel procédait la création traditionnelle (« les anciens peintres commençaient par le sens, et lui trouvaient des signes. Mais les nouveaux commencent par des signes, auxquels il ne reste plus qu'à trouver un sens »). C'est le renoncement à tout projet, à toute délibération, à toute idée préalable, et l'abandon aux vertus plus ou moins imprévisibles du geste et du matériau : les taches et les maculatures de Wols, les pâtes épaisses, battues, grattées, les empreintes, les textures de Dubuffet, les empâtements, les grumeaux, les badigeons, les écrasis de Fautrier obéissent à une même détermination qui impliquait, de la part du peintre, cantonné dans des tâches, une activité apparentée à celle d'un médium, une façon d'abstention, de mise entre parenthèses du « sujet créateur » (les puissances reconnues à la « matière », distinguée de la couleur, du « médium » traditionnel de la peinture, relevant à la limite d'un fantasme, sinon d'une fantasmagorie qui, pour être ici d'époque, n'en fait pas moins l'un des ressorts permanents de l'histoire de l'art). C'est, corrélatif de ce renoncement, et le justifiant, un ensemble lié de refus. L'art qui se veut autre est d'abord un art du refus, un refus qui devient, suivant l'expression de Jean Paulhan, « l'armature et le corps même du tableau ».[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études

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