INFORMEL ART
Jean Fautrier
Ce que refuse le peintre « informel », c'est d'abord une certaine conception du tableau comme reflet, répétition d'une réalité ou d'un modèle, d'une esquisse même, préalablement donnés.L'informel récuse en principe toute forme de représentation aussi bien que d'imitation, de vraisemblance : et si une image apparaît au terme du procès pictural, cette image n'a rien d'une copie, d'un portrait. Elle joue plutôt, par le redoublement du signifiant, sur l'analogie, une analogie peut-être préméditée, mais qui emprunte plus aux moyens picturaux qu'au référent, et que la matière, par son excès et ses accidents même, convoque dans l'esprit (« la matière – comme le voulait Francis Ponge –, unique providence de l'esprit »). Témoin, chez Fautrier, la série des Otages (1943-1960) où l'allusion qui rend le tableau « lisible » procède du procédé lui-même : la figure s'impose, dans son incomplétude et son asymétrie constitutives, comme l'idéogramme de la torture, du corps morcelé, martyrisé ; mais s'il « n'a pas craint le sujet » (Ponge), et si tous s'accordent à louer son métier très sûr, sa virtuosité, on ne voit pas alors ce qui vaut à cet artiste, à tous égards singulier, d'apparaître comme le meilleur représentant de l'informel : sa peinture n'est-elle pas, au même titre que la peinture traditionnelle, concertée, délibérée (encore que différemment) ? Ne vise-t-elle pas, encore, à une structuration qui peut aller (comme en témoignent les Boîtes et les Objets de 1950-1955) jusqu'à renouer avec la figuration ?
Pour saisir, sinon l'importance de l'œuvre de Fautrier, somme toute mineure au regard de la problématique autour de laquelle s'ordonnent les développements de la peinture contemporaine, au moins sa valeur d'indice, de symptôme, il convient de rappeler que dans la conjoncture artistique de l'immédiat après-guerre, marquée par la tentative de résurrection d'une « école de Paris » vouée à l'exploitation des recettes postcubistes, une peinture qui travaillait à maintenir les formes dans un état d'indécision, d'ambiguïté (bien dans la note de la philosophie régnante à l'époque) ne pouvait manquer de prendre figure de rupture. Il n'est pas jusqu'à la prétention de Fautrier de s'adresser à tous les sens à la fois et d'en appeler systématiquement aux connotations olfactives ou gustatives des pâtes qu'il informait (mais sans jamais les enfermer dans un contour) qui ne soit historiquement datée. « Tout mêlé, tout compris. Rien de satisfaisant au détriment du reste, forme, couleur, lumière, idée » (Ponge). À tous égards, l'œuvre de Fautrier – et celle, aussi bien, de la cohorte de ses imitateurs plus ou moins avoués, et souvent moins modestes que lui, au moins par la dimension de leurs toiles – contredit à la logique de la modernité, ordonnée au contraire, à partir d'un travail délibérément formalisé, à la réduction, à la purification, sinon à l'axiomatisation des constituants, des « formants » de la peinture.
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Écrit par
- Hubert DAMISCH : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
Classification
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