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INFORMEL ART

La forme et l'informe

Chez Fautrier, la matière cesse d'occuper une position subordonnée : elle « vient à égalité » (Ponge). Ce n'aura pas été le cas du tout-venant de la peinture informelle, dans la mesure où l'on peut regarder comme un « mouvement » l'engouement pour les effets plus ou moins aléatoires de matière qui s'est emparé, au début des années 1950, d'un certain nombre de peintres, européens de souche ou d'adoption (J.-P. Riopelle, P. Hossiasson, P. Jenkins, E. Vedova, etc.). Le fantasme d'une matière indéterminée, non encore informée, et en quelque sorte détournée de sa destination ontologique, d'une matière restituée à l'état sauvage, et de préférence peu noble, proche du rebut, ce fantasme, encore une fois opérant, ne pouvait que tourner court. Mais il n'en va pas de même de la revendication, celle-là rien moins que métaphysique, qui fait le fond de l'entreprise informelle. Et si un dictionnaire (une encyclopédie ?) devait commencer, comme l'a voulu Georges Bataille, à partir du moment où il ne donnerait plus seulement le sens des mots, mais leurs besognes, il conviendrait de s'interroger ici sur la fonction du concept d'informel dans le tissu idéologique où nous sommes pris, où il nous appartient de penser, et sur la connotation péjorative qui s'y attache nécessairement, lors même que le concept prend valeur de programme.

« Informe n'est pas seulement un adjectif ayant tel sens, mais un terme servant à déclasser, exigeant généralement que chaque chose ait sa forme. Ce qu'il désigne n'a ses droits dans aucun sens et se fait écraser partout comme une araignée ou un ver de terre. Il faudrait en effet, pour que les hommes académiques soient contents, que l'univers prenne forme. La philosophie entière n'a pas d'autre but : il s'agit de donner une redingote à ce qui est, une redingote mathématique. Par contre, affirmer que l'univers ne ressemble à rien et n'est qu'informe revient à dire que l'univers est quelque chose comme une araignée ou un crachat. » (Georges Bataille, Œuvres complètes, t. I, Paris, 1970, p. 217.) Si le terme sert à déclasser, s'il exige que chaque chose ait sa forme, si ce qu'il désigne fait l'objet d'une censure peut-être universelle, on conçoit qu'un art qui se réglerait (ou se dé-réglerait) sur l'informe, qu'un tel art (pour autant que la notion ait encore un sens) n'aurait ses droits « dans aucun sens ». Le terme sert à déclasser : c'est dire qu'aucune taxinomie fondée sur des critères formels ne saurait faire place à ce qu'il dénote. L'informe n'a pas sa place dans une histoire des formes, dans une histoire des œuvres, sinon comme l'instance d'un travail souterrain, d'une activité insensée, et qui ne saurait être exposée au grand jour. D'où l'incapacité où se trouve la critique à cerner le phénomène « informel », sauf à le dénoncer ou à l'identifier à une peinture – celle de Fautrier – finalement toute d'équilibre et du meilleur « goût » (le côté « excrémentiel » de cette peinture étant, de l'aveu même de Francis Ponge, « béni » de quelques traits rapides qui en masquent, en enfouissent la trace), sinon à en étendre indéfiniment la notion.

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études

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