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INFORMEL ART

« Le Chef-d'œuvre inconnu »

C'est ainsi que, pour Jean Paulhan, « la peinture informelle apparaît un certain jour de l'année 1910 : c'est lorsque Braque et Picasso se mettent à composer des portraits, où pas un homme de bon sens ne saurait distinguer des yeux, un nez ni une tête. Elle se poursuit, suivant des sens et des succès divers, avec Klee et l'école de l'art abstrait (que ses fondateurs, Kandinsky, Arps, Van Doesburg, préfèrent d'ailleurs appeler l'art concret) » (L'Art informel, p. 7). Pareille affirmation peut prêter à sourire ; et c'est bien ainsi que l'entendait Paulhan, lui qui demandait que l'on considérât les choses de l'art sans trop de sérieux : si le rire naît du refoulement, il doit accompagner la mise au jour du « refoulé » sur quoi travaille l'art moderne, laquelle ne saurait aller sans résistances. On dira que le parti de placer tout ce qui s'est fait en peinture depuis 1910 (et les cubistes) sous le signe de l'informel relève de la critique d'humeur plutôt que d'une position théorique : là où il y a cube (et cône, et cylindre), la forme ne garde-t-elle pas quelque chose de ses privilèges ? Mais le lien établi entre l'informel et l'abstrait (encore que peut-être pas sous sa forme la plus rigoureuse : Paulhan ignore curieusement Mondrian), et d'abord entre l'informel et la décision qui aura fait Braque et Picasso pulvériser la figure (à commencer par la figure humaine) jusqu'à la réduire à un jeu de facettes encore traversé de quelques références et indices reconnaissables, ce lien n'en a pas moins son sens : il est fait pour révéler la continuité profonde qui peut exister entre les démarches les plus diverses (et aussi les plus inégales) de la peinture moderne, continuité essentiellement fondée sur la question de la non-figuration, du refus de la figure et de la représentation. Le Portrait d'Ambroise Vollard par Picasso (1910) n'a pas pour référent un personnage dont il appartiendrait au spectateur de reconstruire l'apparence à partir des indices que lui offre le peintre ; il est au contraire le lieu d'un travail systématique de dé-construction de la figure, dé-construction qui s'étend aux limites de la toile à deux dimensions et s'attaque du même coup à l'assise, à la condition la plus sûre de toute perception, de toute synthèse imageante, à savoir la distinction figure/fond. « Frenhofer, c'est moi », aurait dit Cézanne : le Portrait de Vollard (le même Vollard qui demanda à Picasso d'illustrer Le Chef-d'œuvre inconnu), c'est un peu le « prétendu tableau » que le vieux peintre, dans la nouvelle de Balzac, découvre au jeune Poussin, lequel n'y aperçoit rien qu'une « muraille de peinture », un « brouillard sans forme », qui n'emprunte rien aux dehors de la représentation et où ne se laisse identifier aucun élément dénoté, à l'exception d'un seul fragment sauvé de la destruction, un pied dont la délicatesse fait dire à Pourbus : « Il y a une femme là-dessous. »

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études

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