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INFORMEL ART

Action painting

La remarque de Pourbus vaudrait pour certaines des toiles peintes dans les dernières années de sa vie par l'Américain Jackson Pollock (1912-1955). Carrière à tous égards symptomatique que celle de ce peintre. Après avoir longtemps travaillé dans une ligne « européenne », celle de Picasso, de Miró, et de la peinture surréaliste, sinon de la grande peinture décorative mexicaine, Pollock a produit, au long des cinq ou six années (1947-1953) qui ont correspondu à l'émergence, sur la scène internationale, d'une peinture authentiquement américaine, un ensemble de toiles qui marquent l'apogée de la « peinture d'action » (action painting, suivant le mot imposé en 1952 par le critique américain Harold Rosenberg, dans un article retentissant de la revue Art News).

Le procédé du dripping (peut-être inventé par André Masson, mais que Pollock fut le premier à exploiter à grande échelle et de façon exclusive) veut que le peintre laisse couler ou projette la couleur liquide (le duco) sur d'immenses toiles étendues à même le sol, jusqu'à constituer des entrelacs d'une épaisseur et d'une ordonnance variables, façon d'écriture automatique démesurément agrandie, offerte à la perception plus qu'à l'imagination qui n'y trouve point d'aliment (« Quand je suis dans ma peinture, disait Pollock, je ne me rends pas compte de ce que je fais. Ce n'est qu'après une période de « mise au courant » que je vois où j'en suis [...] Je n'échoue que lorsque je perds le contact avec la peinture. Sinon l'harmonie est parfaite, les échanges aisés, et la peinture vient bien. »).

Lawrence Alloway a remarqué que les développements de l'art aux États-Unis font que le spectateur est devenu moins sensible à l'inscription fracassante du geste sur ces toiles qu'à l'effet de champ (field painting) qui naît de la distribution uniforme des tracés et de l'absence de tout « centre d'intérêt ». Entreprise peut-être intenable : sans doute n'est-il pas de meilleure illustration du Chef-d'œuvre inconnu que telle toile des années 1953 où se laisse surprendre, à travers le réseau serré des entrelacs, quelque chose comme l'écho d'une figure, corps ou visage.

L'action painting peut-elle être rattachée en quelque façon au courant désigné comme « informel » ? On observera que la critique d'art américaine – la seule à ce jour à avoir développé une problématique cohérente de l'art des dernières décennies – ignore jusqu'à ce terme, comme elle ignore la majeure partie de la production picturale de l'Europe d'après-guerre, exception faite pour quelques grandes entreprises individuelles comme celle de Jean Dubuffet ou de Victor Vasarely. À juste titre d'ailleurs, s'il est vrai qu'au moins pour un temps la capacité productrice de la peinture contemporaine paraît bien s'être déplacée de l'Europe vers les États-Unis. Mais le concept d'action painting, comme celui d'informel, s'il a une valeur théorique, est sans pertinence taxinomique : là où Pollock aura renoué avec le moment le plus radical du cubisme, celui désigné comme « analytique », les peintres dont les noms sont souvent associés au sien seront restés attachés soit à une notion somme toute traditionnelle de la figure (pour ce qui est de Willem De Kooning), soit à une conception encore architectonique de la « composition » (comme en témoignent les grandes structures en noir et blanc de Franz Kline). Avec Pollock, il semble au contraire que la linéarité qui aura imposé sa loi à la peinture figurative d'Occident se renonce dans et par son excès même : l'entrelacs tracé sur le sol se transforme en mur de peinture, et, par cette érection, une certaine notion de la forme, fondée sur la[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études

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