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JÉSUITE ART

C'est à la fin du xvie siècle que commence, selon Malraux, après la disparition de ceux qu'il nomme les derniers grands artistes chrétiens – Tintoret, Greco –, « la pieuse fête jésuite » (Les Voix du silence). Le sens du sacré déserte alors l'art religieux, qui devient bavardage moralisant, narration pseudo-réaliste, illustration du catéchisme, « trompe-l'œil ». Avatar ultime (apparemment) d'un mythe né avec le succès de la Compagnie de Jésus, mis en forme au xviie siècle par certains milieux français et repris ensuite par l'anticléricalisme. Cette dernière collusion est flagrante au milieu du xixe siècle : Baudelaire, admirant un peu malgré lui, à la fin de sa vie, les églises construites à Bruxelles, à Anvers ou à Namur entre 1600 et 1650, et qualifiées par lui, en bloc, de « jésuitiques », rend les « Homais belges » responsables du discrédit où elles sont injustement tombées. On poursuit « Messieurs de Loyola » (pour reprendre l'expression employée par le modèle de tous les Homais dans Le Fanal de Rouen) jusque dans « leur » architecture. Les libres penseurs de 1860 les condamnent, eux et l'art dont on leur attribue sans hésiter le patronage, au nom de la cathédrale gothique et des siècles de « piété authentique » qui l'ont produite. Exaspéré par la fable moyenâgeuse qu'ont inventée les romantiques et qui, avec Hugo, Michelet et Viollet-le-Duc, est devenue la complice inattendue d'un voltairianisme impavide, Baudelaire redécouvre l'un des premiers le pan de civilisation chrétienne qu'elle cachait au public.

« Piété authentique » contre « trompe-l'œil ». La condamnation, seulement esthétique dans Les Voix du silence, a comporté pendant deux bons siècles, si elle n'en comporte encore dans bien des cas, de fortes implications morales. Le trompe-l'œil représente avant tout pour Malraux un art sans inspiration, non créateur, un sot plagiat de la « réalité ». Mais il a longtemps évoqué pour d'autres le truquage, la feinte et l'hypocrisie. L'art jésuite, qui s'est répandu essentiellement, dit-on, hors de France au xviie siècle, et que l'on préfère maintenant, dans les cas les plus caractéristiques, nommer baroque, se présente comme un art inquiétant, « malhonnête » ; il est « trop beau pour être vrai ». Il est à l'art « sincère » ce que la casuistique est à la véritable morale chrétienne, ce qu'est Escobar, depuis Pascal, à saint Augustin. Toutes les connotations fâcheuses du substantif, et plus encore de l'adjectif « jésuite », infléchissent nos rapports avec cette architecture, cette peinture et cette sculpture, et nous poussent à les interpréter. Les revêtements deviennent des masques, chaque façade un faux-semblant, l'ornementation « de la poudre aux yeux », l'éloquence des expressions « du théâtre ».

Y a-t-il un style jésuite ?

La part une fois faite à une mythologie pittoresque et singulièrement vivace, le séculaire écheveau politico-littéraire tant bien que mal dénoué, ou du moins dénoncé, reste un vrai problème. Car la Compagnie, c'est un fait, a joué un rôle énorme pendant toute cette époque d'intense construction religieuse que fut l'époque de la Contre-Réforme. Les églises bâties directement par elle se comptent par centaines, les statues et les tableaux exécutés sur son ordre par milliers, en Europe et en Amérique. Pour quiconque a présents à l'esprit sa constitution centralisée, la précision de ses objectifs, ainsi que l'intérêt porté par saint Ignace lui-même aux techniques de la visualisation, il est tentant de présupposer une doctrine artistique jésuite ferme et cohérente, un corps de directives applicables d'Anvers à Palerme, de Wilno à Cadix et du Mexique au Potosí – et influençant au besoin, à travers[...]

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Saint-Paul-Saint-Louis - crédits : Peter Willi/  Bridgeman Images

Saint-Paul-Saint-Louis

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