JÉSUITE ART
Géographie de l'art jésuite
Aux moments décisifs de l'évolution de l'art colonial mexicain, ce sont le clergé séculier et les ordres mendiants qui donnent les directives. Les jésuites au contraire dominent autour de La Plata et dans le Brésil du xviie siècle ; leur église de Bahia (1657) ouvre la grande époque de l'architecture brésilienne et lui fournit, en tirant toutes les conséquences d'une formule portugaise, l'un de ses modèles favoris. La structure « intégrée » de Bahia est très éloignée du plan du Gesù romain : un rectangle sans la moindre saillie enferme non seulement la nef, mais une vaste sacristie et les deux couloirs qui la desservent. Entre ces deux espaces, le chœur ne forme plus qu'une subdivision interne, la Capela Mor, « coin-autel » de cette « salle de séjour » sans repli ni mystère. L'articulation inspirée de Vignole (1507-1573), la hiérarchisation des masses autour d'une coupole se retrouvent dans les églises bahianaises des carmes et des bénédictins.
L'Europe offre aussi ses contrastes et ses paradoxes. Les Pays-Bas espagnols construisent presque toutes leurs églises post-tridentines au début du xviie siècle, aux temps où la Contre-Réforme s'identifie à peu près avec l'action de la Compagnie, et où celle-ci constitue le principal soutien du gouvernement des « archiducs », garant d'une relative et précaire autonomie. C'est donc bien, dans une certaine mesure, une Belgique « jésuitique », suivant l'expression provocante de Baudelaire, qui s'est définitivement superposée à la Flandre et au Brabant gothiques et renaissants.
La situation est totalement différente dans les pays germaniques, où la vague des constructions jésuites (1582, Saint-Michel de Munich ; 1604, Fribourg, en Suisse ; 1610, Dillingen ; 1627, Vienne et Innsbruck ; 1668, Lucerne ; 1680, Soleure) est recouverte, dépassée, éclipsée, entre 1680 et 1780, par celle des constructions des riches et puissants couvents bénédictins, cisterciens, prémontrés et augustins. La comparaison avec l'art du grand siècle baroque (ou rococo) dévalorise les églises des jésuites, nées trop tôt, en un temps où l'Allemagne, mal dégagée de la grande crise religieuse du xvie siècle, voire du Moyen Âge, se cherchait, et où les promoteurs de la réaction catholique durent agir vite, à l'aide des ressources encore limitées mises à leur disposition par un pays bouleversé – et, au surplus, de tout temps volontiers archaïsant.
Il ne faut pas minimiser toutefois le rôle de la Compagnie sous prétexte que sur dix belles « églises baroques » allemandes aujourd'hui visitées, admirées et commentées, neuf furent élevées par d'autres ordres. C'est un terrain de choix pour une étude objective et nuancée du problème que ce Saint Empire aux réactions diverses et différées. Car la nef unique à chapelles latérales, la voûte en berceau à pénétrations, le transept atrophié, si caractéristiques d'une grande partie du baroque germanique, n'ont jamais appartenu en propre, assurément, aux jésuites ; mais auraient-ils supplanté si aisément les partis traditionnels comme la basilique, sans la très cohérente série d'églises jésuites bâties au temps de la Contre-Réforme militante ? Sans le prestige, en particulier, de l'église de l'université jésuite de Dillingen, en Bavière, où se formèrent tant de futurs mécènes ecclésiastiques ? Quant au Gesù, il ne faut pas oublier, en s'efforçant d'en mesurer l'influence réelle, qu'à partir de 1680 son exemple ne tend plus seulement à accréditer la structure passe-partout de Vignole, mais le décor peint et sculpté de Baciccia et des disciples de Bernin, et les scènes, encore provisoires, de Theatrum sacrum que monte dans le chœur, pour certaines cérémonies,[...]
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Écrit par
- Pierre CHARPENTRAT : maître assistant à l'École pratique des hautes études
Classification
Média
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