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ART KANAK

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Largement inconnu du grand public, l’art kanak est pourtant bien représenté dans les collections françaises et européennes depuis la fin du xviiie siècle. L’exposition intitulée Kanak. L’art est une parole, qui s’est tenue au musée du quai Branly à Paris du 15 octobre 2013 au 26 janvier 2014, est venue combler cette carence en présentant les trésors dispersés de cet art, exhumés des réserves des musées européens. Cette exposition présentant 320 objets et documents est le fruit d’un long travail d’inventaire des collections kanak conservées dans les musées.

Entre « visages » et « reflets »

C’est au début des années 1980, à la demande du leader kanak Jean-Marie Tjibaou (1936-1989), qui s’inquiétait de savoir ce que les musées français avaient conservés de l’art ancien de son pays et s’il était montré au public, que l’ethnologue Roger Boulay a commencé ses premières recherches dans les musées. Ce travail pionnier de repérage a permis de nourrir la première grande exposition internationale consacrée à l’art kanak : De jade et de nacre. Patrimoine artistique kanak, qui s’est tenue au Musée territorial de Nouvelle-Calédonie à Nouméa et au musée national des Arts africains et océaniens à Paris en 1990. La préparation de l’exposition de 2013 a permis aux deux commissaires, Roger Boulay et Emmanuel Kasarhérou, de donner un nouvel élan à ces opérations de recensement des collections kanak grâce à une dotation spécifique de la Nouvelle-Calédonie. L’inventaire raisonné qui en résulte s’accompagne de recherches historiques permettant de mieux connaître les biographies des collecteurs et d’éclairer les contextes historiques de ces collectes.

Comme les deux faces d’une même réalité, « le visage » et « le reflet », ces deux perceptions de la culture kanak, s’interrogent et se répondent, transmettant une vision du monde. « Les visages » expriment la manière kanak de se penser, ils renvoient à notre image et à l’image que nous donnons de nous-mêmes. Ils font entendre la voix des Kanak en utilisant cinq concepts clés issus de l’ajië, l’une des 28 langues kanak, rendant compte d’une unité de perception culturelle intime.

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Le premier visage, appelé «  » évoque la notion de « Parole », si essentielle aux sociétés de tradition orale, concentrant la notion de communication mais aussi de Verbe créateur. L’expression Mwârö ma mwâciri (la maison et son pays) évoque la grande case, tout à la fois architecture de prestige et représentation idéalisée de l’ordre social placé au centre de son pays, son « séjour paisible ». Mwa ma mëu ( le taro et l’igname) ne sont pas de simples tubercules nourriciers, ils sont la chair des ancêtres. L’igname est le principe masculin et le taro le principe féminin. Le cycle de leur culture rythme l’année et constitue le calendrier agricole et social. Bèmu ma rhee (les ancêtres et les esprits) forment la dualité des puissances tutélaires qui protègent les individus et les clans. Les ancêtres ont été la chair des clans et, malgré la mort, restent attachés à la destinée de leurs descendants. Les génies, parfois traduit par le mot « totem », sont ces puissances qui n’ont jamais été humaines mais que les clans ont su se concilier dans des temps immémoriaux et qui les protègent.

Kâmö ma vibéé (la personne et ses liens) évoque la dualité formée par la personne humaine et sa parenté. L’une ne peut se concevoir sans l’autre. La parenté est la plus grande richesse que l’on puisse recevoir et transmettre, car ces liens formés et entretenus par les générations passées placent la personne au sein d’un réseau de solidarité et de savoir qu’il s’emploiera à enrichir avant de le transmettre à son tour. Des évocations de vie de chefs d’autrefois au moyen d’objets leur ayant appartenu et des œuvres contemporaines, comme L’Homme-lézard (1992) de Dick Bone ou Les Deux Frères (2008) de Jean-Philippe Tjibaou, donnent à chacun des « visages » une présence et une continuité. Avant d’être sculptés, tressés ou gravés, les objets ont été des idées exprimées dans chacune des langues kanak. C’est ainsi que se justifiait le sous-titre de l’exposition, « l’art est une parole ».

En regards des « visages », les « reflets » rendent compte de l’évolution de la perception par l’Occident, et la France en particulier, de cette culture dont le territoire est devenu colonie française en 1853. Le rapport des Kanak à l’Occident débute en 1774 avec la visite du capitaine James Cook lors de son second voyage. Des expéditions scientifiques de la fin du xviiie siècle, avec leurs regards souvent empreints de nostalgie d’un monde perdu mêlé de références à l’antiquité, aux observations subjectives des missionnaires catholiques et protestants, des marins et militaires ou encore des médecins et scientifiques, ces reflets illustrent les perceptions coloniales traduisant des rapports parfois équitables mais souvent biaisés. Depuis les années 1990, des œuvres telles que les réinterprétations graphiques des bambous gravés du xixe siècle par Micheline Néporon (1991) ou Les Robes libérées (2009) de Stéphanie Wamytan illustrent leur imbrication et la reprise en main progressive par les Kanak de leur image et du discours qu’ils tiennent de leur société.

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Écrit par

  • : conservateur en chef du Patrimoine, adjoint au directeur du Patrimoine et des collections, musée du quai Branly

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