ART (L'art et son objet) Création contemporaine
« Dé-définition » et dissémination conceptuelle
Ces mentions relatives à la création la plus immédiatement antérieure au début du xxie siècle signalent une belle fécondité. S'impose là cette protéiforme (le vocable, néologisme devenu légitime, et non plus l'adjectif) qui qualifie aujourd'hui l'œuvre d'art plastique. L'hétérogénéité infinie des formes, en l'occurrence, rejoignant l'hétérogénéité maximale des pratiques autant que celle des enjeux de création.
Héritière des ultimes expériences modernes, la diversité artistique enregistrée aujourd'hui trouve sa source dans deux processus. Le premier est l'antidogmatisme foncier qui a fini par prévaloir dans l'univers artistique contemporain, acquis au terme de « dé-définitions » (Harold Rosenberg, 1972), toujours plus nombreuses et systématiques. Dé-définition, par exemple, de l'affectation. L'œuvre d'art comme objet de contemplation ? Mais que contempler à présent, et comment, une fois mis en présence d'œuvres qui multiplient indéfiniment les écrans (installations de Nam June Paik, atmosphères de brouillard d'Ann Veronica Janssens), qui dilatent jusqu'à l'insupportable le temps de projection (Douglas Gordon étire le film Psycho d'Alfred Hitchcock sur vingt-quatre heures en 1993, et le long-métrage The Searchers, entamé en 2003, se déploie sur quatre ans et demi, le temps même de l'action narrée par le chef-d'œuvre de John Ford), qui distribuent les images sur la façade de bâtiments publics (Krzysztof Wodiczko), voire sur de la fumée (Tony Oursler) ? Dé-définition, encore, de la « matière » censée qualifier ou définir l'œuvre d'art, démultipliée déjà à l'infini par le land art ou le sky art, rendue impalpable pour finir à force d'extension, entre « antiforme » valorisée par Robert Morris avec ses Smoke Scupltures de vapeur d'eau (à partir de 1969) et développement des esthétiques immatérielles via Internet, faisant triompher dématérialisation puis immatérialisation. Le portraitiste allemand Jürgen Ostarhild travaille uniquement sur ordinateur. Les portraits qu'il met en vente peuvent être acquis exclusivement via son site Web, l'acheteur ne peut les stocker que dans son ordinateur, et ne les exposer que sur l'écran de celui-ci... La notion de « représentation », au regard d'une telle évolution, ne se périme pas. La labilité contemporaine de l'œuvre d'art, en revanche, en fragmente et en éparpille le concept.
Le second processus à même d'expliquer la diversité de l'œuvre d'art propre à notre temps est le principe d'importation. L'artiste fait entrer ce qu'il veut dans le giron de l'œuvre d'art et dans sa conception propre de l'art. Poétique de l'accaparement, de l'appropriation, de l'échantillonnage, du « sampling », dans une veine ouverte voici un siècle par le dadaïsme. Objets banals ou précieux, détournés ou non, univers technologiques et machines, formes diverses d'engagement politique, jeu avec les médias, la publicité, sessions de ramassage d'ordures sur une plage et de massage de pieds des passants dans une rue, recomposition d'œuvres déjà existantes retravaillées en toute indifférence à l'endroit du droit d'auteur... Le concept d'œuvre d'art, et d'« art », de facto, s'étire dorénavant sans se rompre à l'instar de l'espace cosmique selon la théorie du big bang. En son nom se tiennent réunis en fin de course, tous légitimes, un Jeff Koons qui expose des sculptures végétales géantes en forme de caniche, un Anselm Kiefer qui peint de grandes toiles d'histoire métaphoriques dans la manière classique où il est question de la double fin de l'Histoire et de la haute culture[...]
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Écrit par
- Paul ARDENNE : maître de conférences à la faculté des arts d'Amiens, critique d'art, historien de l'art, écrivain
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