ART (L'art et son objet) Création contemporaine
Un art en expansion
L'artiste, au tournant du xxie siècle, entend bien toucher à tout, être partout, mettre de l'art dans tout. Rénover constamment son propos, aussi, en reprogrammateur impénitent. Si quelques retours à l'ordre de temps à autre, signalés par les revendications régressives, ponctuent bien le cycle de la création plastique, une poétique d'agitation et d'exploration permanentes n'en est pas moins devenue la règle. Les années 1980, où l'on profite de l'appel d'air créé par l'épuisement de la modernité, ont marqué quelques années durant le retour massif à la peinture néoclassique et expressionniste. C'est alors l'époque, peu inventive, de la Figuration libre, de la Transavantguardia, des Anacronisti, de la Bad Painting, de la « peinture peinture » : ces formules sont aussi traditionnelles dans leur facture (le retour au tableau comme support privilégié de l'expression plastique) qu'historicistes dans leur contenu (références appuyées à l'art antique ou classique ou à l'expressionnisme des débuts du xxe siècle). Une telle réaction de recul (backlash) ne dure toutefois qu'un temps donné, incapable de rien fonder, miné par la répétition.
Le critère d'« expansion » de l'art, autrement productif, façonne pour l'essentiel le visage de la création plastique des années 1980-2010 et, par rebond, celui de l'œuvre d'art – jusqu'à cet extrême, qui déjoue toute expertise, l'objet d'art non identifiable, le « Wani » (contraction de langage des initiales O.A.N.I.), dans la lignée du Chef-d'œuvre inconnu de Frenhofer dépeint par Balzac dans sa célèbre nouvelle. Si l'esthétique du « divers » triomphe, abolissant règles et critères au profit d'un traitement ouvert de l'œuvre d'art, c'est d'abord parce qu'il n'y a plus de « grande forme » à même de dicter sa loi, à même de s'imposer encore comme la « vraie » forme. C'est aussi parce que la notion même d'« art » est devenue un composant problématique de la culture : un être conceptuel fluctuant, insaisissable, en circulation, diffracté, rejouant sans fin tout à la fois ses propres enjeux et ceux du monde. C'est donc en toute logique que le champ des arts plastiques se révèle plus propositionnel que jamais – il ne peut plus en être autrement. La confrontation avec l'art d'aujourd'hui fait-elle l'effet d'un trop-plein, ou d'un fourbi ? Cet effet est normal. Il résulte d'une esthétique où rien n'est réellement fédéré, où rien ne s'avère propice à être conceptualisé de manière univoque. Le fractionnement des démarches consacre ici la notion de spécificité. Il déclasse de concert, outre la qualification par le médium (la peinture, la sculpture, la vidéo, la photographie plasticienne, l'installation, la performance, l'action...), les notions de genre ou d'espèce (l'art figuratif, abstrait, corporel, technologique, politique...), dorénavant mal adaptées faute de circonscrire pour ce qu'elles sont bien des démarches artistiques. Comme le pointe l'artiste américain Victor Burgin, il est devenu anachronique de « définir la pratique artistique comme une activité artisanale, un processus consistant à fabriquer des objets raffinés dans un médium donné ». On la considérera plus opportunément, estime-t-il, « comme un ensemble d'opérations exécutées dans un champ de pratiques signifiantes, peut-être centrées sur un médium mais certainement pas confinées par celui-ci ».
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Paul ARDENNE : maître de conférences à la faculté des arts d'Amiens, critique d'art, historien de l'art, écrivain
Classification
Autres références
-
ANTHROPOLOGIE DE L'ART
- Écrit par Brigitte DERLON et Monique JEUDY-BALLINI
- 3 610 mots
- 1 média
L’anthropologie de l’art désigne le domaine, au sein de l’anthropologie sociale et culturelle, qui se consacre principalement à l’étude des expressions plastiques et picturales. L’architecture, la danse, la musique, la littérature, le théâtre et le cinéma n’y sont abordés que marginalement,...
-
ART (notions de base)
- Écrit par Philippe GRANAROLO
- 3 282 mots
-
FINS DE L'ART (esthétique)
- Écrit par Danièle COHN
- 2 835 mots
L'idée des fins de l'art a depuis plus d'un siècle et demi laissé la place à celle d'une fin de l'art. Or, à regarder l'art contemporain, il apparaît que la fin de l'art est aujourd'hui un motif exsangue, et la question de ses fins une urgence. Pourquoi, comment en est-on arrivé là ?
-
ŒUVRE D'ART
- Écrit par Mikel DUFRENNE
- 7 938 mots
La réflexion du philosophe est sans cesse sollicitée par la notion d'œuvre. Nous vivons dans un monde peuplé des produits de l'homo faber. Mais la théologie s'interroge : ce monde et l'homme ne sont-ils pas eux-mêmes les produits d'une démiurgie transcendante ? Et l'homme anxieux d'un...
-
STRUCTURE & ART
- Écrit par Hubert DAMISCH
- 2 874 mots
La métaphore architecturale occupe une place relativement insoupçonnée dans l'archéologie de la pensée structurale qu'elle aura fournie de modèles le plus souvent mécanistes, fondés sur la distinction, héritée de Viollet-le-Duc, entre la structure et la forme. La notion d'ordre, telle que l'impose la...
-
TECHNIQUE ET ART
- Écrit par Marc LE BOT
- 5 572 mots
- 1 média
La distinction entre art et technique n'est pas une donnée de nature. C'est un fait social : fait qui a valeur institutionnelle et dont l'événement dans l'histoire des idées est d'ailleurs relativement récent. C'est dire qu'on ne saurait non plus considérer cette distinction comme un pur fait de connaissance...
-
1848 ET L'ART (expositions)
- Écrit par Jean-François POIRIER
- 1 189 mots
Deux expositions qui se sont déroulées respectivement à Paris du 24 février au 31 mai 1998 au musée d'Orsay, 1848, La République et l'art vivant, et du 4 février au 30 mars 1998 à l'Assemblée nationale, Les Révolutions de 1848, l'Europe des images ont proposé une...
-
ACADÉMISME
- Écrit par Gerald M. ACKERMAN
- 3 543 mots
- 2 médias
Le terme « académisme » se rapporte aux attitudes et principes enseignés dans des écoles d'art dûment organisées, habituellement appelées académies de peinture, ainsi qu'aux œuvres d'art et jugements critiques, produits conformément à ces principes par des académiciens, c'est-à-dire...
-
ALCHIMIE
- Écrit par René ALLEAU et Encyclopædia Universalis
- 13 642 mots
- 2 médias
...phénomènes perçus par nos sens et par leurs instruments. Cette hypothèse peut sembler aventureuse. Pourtant, le simple bon sens suffit à la justifier. Tout art, en effet, s'il est génial, nous montre que le « beau est la splendeur du vrai » et que les structures « imaginales » existent éminemment puisqu'elles... -
ARCHAÏQUE MENTALITÉ
- Écrit par Jean CAZENEUVE
- 7 048 mots
...le succès correspond peut-être à un besoin accru encore par les progrès de la pensée positive et pour ainsi dire en réaction contre elle. D'autre part, on peut trouver dans la vie artistique, sous toutes ses formes, la recherche d'une harmonie entre le subjectif et l'objectif, en même temps qu'un retour... - Afficher les 41 références