ART (L'art et son objet) L'anonymat dans l'art
L'œuvre anonyme considérée comme sujet d'étude
Pour autant que l'on puisse extrapoler en l'absence de toutes données statistiques générales, il semble que l'on puisse déterminer certaines constantes en matière d'anonymat des œuvres d'art.
L'anonymat est d'autant plus fréquent que la réalisation de l'œuvre présente un caractère collectif. Les dessins d'architecte sont souvent signés. Le monument lui-même, résultat de la collaboration de très nombreux corps de métier, ne le sera que très exceptionnellement (mis à part le cas particulier des immeubles parisiens de la fin du xixe siècle).
La marque, par laquelle l'œuvre d'art échappe à l'anonymat non comme œuvre d'un artiste particulier mais comme production d'un centre artistique, a une valeur commerciale ; elle garantit la loyauté, la bonne exécution de l'œuvre (retables brabançons) ou même son origine (fabriques de céramiques). D'où l'apparition précoce des marques (poinçons) pour l'orfèvrerie, domaine où ces éléments étaient inséparables de la valeur intrinsèque de l'œuvre.
Une même œuvre peut porter plusieurs indications d'auteurs à partir du moment où plusieurs artistes distincts sont intervenus dans les étapes de la création. Ainsi certaines sculptures en bronze portent la signature du sculpteur et l'indication (inscription ou cachet) du fondeur, et les estampes (noms de l'auteur du dessin et du graveur).
Les œuvres d'art faisant l'objet d'un commerce actif sont rarement anonymes ; c'est pourquoi les signatures sont particulièrement fréquentes sur les peintures relativement récentes, les petites sculptures, les meubles (mais le nombre des estampilles authentiques est relativement faible).
En fait, si l'œuvre d'art anonyme est un sujet d'étude pour l'historien d'art, elle est une source d'inquiétude pour le collectionneur et donc pour son corollaire, le marchand. Plus encore que la conscience de leur individualité, ce sont sans doute les lois du marché qui ont poussé les artistes à signer leurs œuvres. À partir du moment où l'œuvre d'art devient moins un objet d'usage ou de délectation qu'un objet de spéculation, le fait de pouvoir en nommer l'auteur permet de l'insérer dans un réseau de références apparemment objectif qui facilite l'établissement d'une « cote », et confère à toute acquisition l'aspect rassurant d'un placement sur une valeur incontestée. Au xixe siècle, le fait pour l'artiste d'apposer sa signature pouvait apparaître comme une manifestation individuelle et comme l'affirmation de sa personnalité. Au xxe siècle au contraire, l'anonymat a été revendiqué à diverses reprises comme un moyen d'échapper à l'emprise d'un système mercantile. Ces tentatives, parfois collectives, le plus souvent éphémères, ont été bien vite « récupérées ». Elles ont cependant contribué à mettre en évidence le poids du « marché de l'art ». L'œuvre anonyme sollicite certes notre curiosité mais aussi nous inquiète et nous échappe. Nommer son auteur, c'est réduire sa part de mystère, c'est la tenir dans des limites à nos mesures et, d'une certaine manière, nous l'approprier.
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Écrit par
- Jean-René GABORIT : conservateur général chargé du département des Sculptures, musée du Louvre
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