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ART (L'art et son objet) L'attribution

Le « connaisseur »

À quel moment l'attribution perd-elle son rôle d'auxiliaire pour devenir l'instrument par excellence de l'historien de l'art ? Au xviie siècle déjà, époque qui vit la fondation des grandes galeries princières, le problème du « connaisseur » est abordé en France par A. Félibien des Avaux (1619-1695) et par R. de Piles (1635-1709), en Italie par F. Baldinucci (1624-1696), et la validité des méthodes permettant de reconnaître le style et la « manière » des artistes est discutée. L'un des grands problèmes auxquels l'historien de l'art florentin Filippo Baldinucci essaie de donner une réponse dans sa lettre de 1685, déjà citée, à Vincenzo Capponi est justement celui-ci : « Existe-t-il une règle permettant d'affirmer avec certitude qu'une belle peinture est de la main de tel ou tel maître ? Et s'il n'y en a pas, quelle sera la façon la plus sûre de fonder assez bien son jugement ? » Cependant le moment le plus important des débuts de cette transformation doit être recherché dans le xviiie siècle anglais, époque où se dessine le mieux la physionomie du connaisseur et où les éléments de la technique de l'attribution (le connoisseurship) reçoivent une organisation initiale. Un essai de Jonathan Richardson, The Connoisseur, an Essay in the Whole Art of Criticism as it Relates to Painting and a Discourse on the Dignity, Certainty, Pleasure and Advantage of the Science of a Connoisseur (Londres, 1719), constitue le premier témoignage de ce phénomène. Pour l'histoire de l'attribution, l'ébauche du personnage du « connoisseur » dans le milieu des gentilshommes anglais qui rentrent du « Grand Tour » est d'importance. Il s'agit là d'un phénomène de snobisme très prononcé : le connaisseur est celui qui connaît, qui comprend les beaux-arts, et ceux-ci occupent une place considérable dans la culture d'un gentilhomme accompli. Il doit avoir fait le « Grand Tour », il doit avoir visité l'Italie, il doit connaître l'art italien. Au xviie siècle, l'histoire de l'art n'était pas un élément essentiel de l'éducation ; au xviiie siècle, en Angleterre, la situation a changé. L'idée que l'art a « un rôle formateur général au-delà de ses fins spécifiques » (Argan) fait son chemin. D'où la naissance, ou plutôt la nouvelle importance donnée au personnage du dilettante, du gentilhomme cultivé qui connaît l'histoire de l'art, pratique éventuellement une activité artistique, est un collectionneur passionné (la Society of Dilettanti naît à Londres en 1732). Ce snobisme a été pris pour cible par William Hogarth dans différentes gravures (The Tailpiece to the Society of Artists Catalogue de 1761 contient une allusion impitoyable au connaisseur : un singe tenant une loupe, comme un authentique expert en peinture, arrose trois misérables arbustes morts depuis des siècles, essayant de les faire reverdir) et dans un écrit publié dans un quotidien londonien en 1734, sous le pseudonyme de Britophil. On y raconte comment un gentilhomme naïf finit par acheter à un prix élevé une peinture douteuse qui ne lui plaît pas particulièrement. Pour l'induire à commettre cette folie, son tentateur tient le discours suivant : « Je vois bien, Monsieur, que vous n'êtes pas un connaisseur. Ce tableau, je vous l'assure, est de la seconde manière, la meilleure, d'Alesso Baldminetto ; il est peint avec hardiesse et est vraiment sublime. » Le marchand que décrit ainsi Hogarth pratique l'attribution avec une habileté consommée.

Si ce sont là les aspects et les limites de la méthode de l'attribution au xviiie siècle, la manière d'aborder l'histoire de l'art propre au xixe siècle présentera d'autres caractères. Le connaisseur tente de[...]

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<it>Vierge en trône</it>, C. Tura - crédits :  Bridgeman Images

Vierge en trône, C. Tura

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