ART (L'art et son objet) L'attribution
Méthodologie
G. Morelli et ses précurseurs. L'attribution scientifique
Si la seconde moitié du xixe siècle a donc été l'âge d'or de l'attribution, il est logique que cette époque ait également vu l'élaboration d'une méthodologie de l'attribution, celle qu'a proposée Giovanni Morelli dans les ouvrages qu'il a consacrés aux œuvres des maîtres italiens des musées de Dresde, de Munich, de Berlin et de Rome. Dans ces livres, il procéda à une série de révisions, parfois très importantes, comme ce fut le cas pour la Vénus de Giorgione, à la Pinacothèque de Dresde, considérée jusque-là comme une copie, par Titien, du Sassoferrato. En introduction à l'un de ses ouvrages, Morelli, qui utilise en général le pseudonyme d'Ivan Lermolieff, présente sous forme de dialogue sa méthode. Il souligne en premier lieu l'importance de l'analyse directe de l'œuvre, du texte original, et en second lieu la valeur des reproductions photographiques ; il insiste sur l'importance de l'exercice de l'œil pour le connaisseur, polémiquant contre l'usage excessif du matériel bibliographique dans l'étude des œuvres d'art. Mais une fois entrepris l'indispensable et irremplaçable examen direct de l'œuvre, comment en faire l'attribution ? Selon Morelli, les caractères clefs, les chiffres, les « combinaisons » permettant de trouver l'attribution juste doivent être recherchés dans des détails déterminés, généralement peu considérés et négligés aussi bien par les observateurs que par les artistes qui, en achevant l'œuvre, se laissent aller à une formule presque automatique et à une sorte d'« écriture mécanique ». Certaines formules et schémas généraux employés par les grands artistes, la composition, les éléments physionomiques les plus caractéristiques – telles l'expression de la bouche chez Léonard de Vinci ou celle des yeux chez le Pérugin ou chez Raphaël – sont fatalement l'objet de l'imitation des disciples et des faussaires. En revanche, les détails où justement l'artiste laisse aller sa main sont les plus révélateurs ; ce sont ceux que l'on ne remarque pas, et qui ne sont pas imités : l'oreille et les ongles des doigts par exemple. L'oreille n'est pas chargée de significations particulières, au contraire de la bouche, par exemple, ou des yeux qui, dans les tableaux de la fin du Quattrocento, du Cinquecento, ont un rôle bien précis. Ne présentant pas une importance particulière, l'oreille est en général répétée telle quelle par l'artiste. Il n'y a pas lieu de citer longuement les éléments dont Morelli et Bernard Berenson – fortement influencé par Morelli – ont dressé la liste. En revanche, il est intéressant de relever ce point : selon Morelli et Berenson, il existe une voie pour obtenir, dans le domaine de l'attribution scientifique, les meilleurs résultats. Brillamment examinée par E. Wind, cette méthode se ressent nettement des tendances du temps, son caractère scientifique est indéniable mais, d'autre part, elle semble suivre une méthode parallèle à celle des enquêtes policières de sir Arthur Conan Doyle. Le spécialiste en attribution de Morelli reconnaît la main de l'artiste grâce à un détail insignifiant aux yeux de la majorité des gens et peut-être aussi à ceux de l'auteur lui-même, de la même façon que le héros de Conan Doyle identifie un personnage grâce à des indices imperceptibles pour son ami Watson et même pour celui qui les avait laissés. La même règle vaut pour le spécialiste en attribution et pour le détective : le détail voyant, l'élément qui attire l'œil est le moins sûr ; il faut découvrir des indices mieux cachés, ils conduisent nécessairement au protagoniste.
La découverte du protagoniste[...]
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Écrit par
- Enrico CASTELNUOVO : professeur à l'université de Lausanne
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