ART (L'art et son objet) La reproduction en art
Reproductions et « musée imaginaire »
Contrairement aux répliques et copies qui ont vocation à être des substituts de l'œuvre originaire, les reproductions, au sens moderne du terme, avouent d'emblée leur différence. Elles sont apparues au xve siècle, lorsqu'il fut possible de réaliser des gravures sur métal capables de multiplier les images des modèles dont elles s'inspiraient. Alors que les « gravures originales » sont élaborées à partir d'un dessin conçu par le graveur lui-même, les « gravures d'interprétation » sont réalisées à partir de l'œuvre d'un autre artiste.
Depuis les premiers succès de l'association, au début du xvie siècle, entre Raphaël et son graveur, Marcantonio Raimondi, bien d'autres artistes ont suscité et contrôlé la reproduction de leurs créations originales. Attentifs à une bonne traduction en noir et blanc de leurs peintures, ils ont facilité une large propagation des innovations stylistiques et des trouvailles iconographiques. La profusion des images disponibles offrait aux amateurs une évocation visuelle des œuvres qu'ils n'avaient pu contempler. Elle permettait aussi de pallier les défaillances de la mémoire. La maniabilité des gravures encourageait les comparaisons qui stimulent l'étude. Apparus au xviie siècle, les livres savants illustrés de reproductions gravées ont transformé, plus encore qu'on ne le croit, notre rapport à l'art.
Les éditions de reproductions photographiques ont commencé à se répandre dans les années 1850, grâce à l'invention du tirage d'épreuves sur papier à partir d'un négatif. Une polémique permit de clarifier les avantages respectifs de la gravure et de ce nouveau procédé. Ceux qui vantaient les mérites de la gravure d'interprétation affirmaient qu'elle peut « à la fois copier et commenter la peinture », quand la photographie reste bornée par une « fidélité aveugle » (Henri Delaborde, « La Photographie et la Gravure », in La Revue des deux mondes, 1er avril 1856). Un pas décisif fut franchi lorsque les avantages de l'exactitude photographique et ceux de l'impression industrialisée permirent une diffusion des reproductions d'œuvres d'art sans commune mesure avec ce qu'elle avait été au cours des siècles précédents. André Malraux, dans Le Musée imaginaire, 1947, résuma cette mutation d'une formule : « les arts plastiques ont inventé leur imprimerie ».
Les analyses de Malraux battent en brèche l'idée répandue selon laquelle des reproductions plus nombreuses ou plus fiables compléteraient notre information sur l'art sans en changer la compréhension. Quand la gravure de reproduction, lente à exécuter, « semblait devoir confirmer les valeurs acquises », la photographie « substitue souvent l'œuvre significative au chef-d'œuvre traditionnel, le plaisir de connaître à celui d'admirer ». Les photographies du « musée imaginaire » ne se contentent nullement de reproduire les œuvres. Elles faussent l'échelle des objets, valorisent tel point de vue ou dramatisent par l'éclairage l'effet produit, transforment l'inachevé de l'exécution en une volonté stylistique. En d'autres termes, la reproduction a créé de « véritables arts fictifs ».
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Écrit par
- Denys RIOUT : professeur d'histoire de l'art à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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