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ART (L'art et son objet) La signature des œuvres d'art

Une dialectique de la présence

<it>Les Ambassadeurs</it>, H. Holbein le Jeune - crédits : VCG Wilson/ Corbis/ Getty Images

Les Ambassadeurs, H. Holbein le Jeune

Mais la signature signifie plus encore : la présence de l'artiste dans l'œuvre. C'est un des problèmes fondamentaux de l'esthétique de la Renaissance que cette intériorité du corps en contrepoint de l'extériorité du regard. La signature témoigne de cette dialectique de la présence et de l'absence, de l'intérieur et de l'extérieur dans l'espace illusionniste de la perspective. Ce peut être comme Van Eyck calligraphiant au centre du Portrait des époux Arnolfini : « Johannes de eyck fuit hic ». Ce peut être avec une étrange insistance comme Albert Dürer renouvelant par trois fois l'effet de sa présence au bas de L'Adoration de la Sainte-Trinité, puisque son autoportrait présente un texte gravé (« Albertus Dürer Noricus faciebat ») qui s'achève par le fameux monogramme de l'artiste. Ainsi peut-on rapprocher de la signature tous ces autoportraits furtifs qui se glissent dans les assemblées de saints, d'apôtres ou de donateurs et qui surdéterminent la fonction de la signature par celle de la dédicace. Le point culminant dans la dialectique de la présence est sans doute atteint par Holbein dans Les Ambassadeurs : par le double jeu de l'étymologie et de l'anamorphose, c'est la mort qui apparaît, oblique et creuse, au centre du tableau.

Holbein nous projette d'un coup au centre de la problématique la plus contemporaine, celle qui concerne l'identité du sujet et la trace visible (lisible) de ce qui le signifie : le signe de son nom, le signifiant visible et sonore qui le désigne. L'histoire de cette trace graphique accompagne une évolution de plus en plus individualiste de la production. La signature devient cursive ; elle clôt le tableau comme une lettre, en bas et à droite, de façon plus ou moins déchiffrable. C'est qu'elle devient, comme le tableau, un chiffre jusqu'à se fondre avec la matière même de l'œuvre. L'objet et la signature se fondent l'un dans l'autre et se séparent, comme chez tout individu son corps et son nom propre. C'est le sens de ce « Vincent » qui est fait de la matière et de la forme même du vase peint par Van Gogh. On comprend mieux ainsi l'austérité plastique et hautement calculée du « PM - 43-45 » dans le Boogie-Woogie de Mondrian. On est au-delà des conventions de l'état civil. La signature est la trace existentielle du producteur qui se sait exclu, mortel aboli ou brisé par et dans son œuvre. Ainsi Rauschenberg, qui pulvérise son nom à travers la toile, et Pollock, dont c'est tout le tableau qui se fait écriture illisible, comme pour tracer sans fin le nom d'une impossible identité. Que penser alors de cette obstination obtuse mais rentable du public amateur qui continue de stimuler un marché personnalisé, concurrentiel de l'art ? La signature se trouve ainsi au centre même de l'histoire contemporaine. Hypertrophiée sur le marché des valeurs individuelles, elle correspond à une production fondée sur la mort et l'absence (Yves Klein) du producteur et sur la découverte du vide fascinant qui sépare chaque lettre de son propre nom.

— Marie-José MONDZAIN-BAUDINET

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