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ART (L'art et son objet) Le faux en art

La fabrication d'un faux

Décrire la technique des faussaires reviendrait à exposer celle des œuvres d'art qu'ils doivent reproduire et, en outre, les procédés de vieillissement que, le plus souvent, ils doivent employer. Et d'abord quelques mots sur les conceptions des faussaires. Certains se bornent à la pure copie, et ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on a accusé des artistes ou des marchands d'avoir, par des procédés divers, substitué une copie à un original, conservé pour être vendu une seconde fois. D'autres, faisant preuve de plus d'invention, produisent des œuvres qui sont des centons de formes empruntées à des originaux divers. Cependant, certains faussaires inventent de toute pièce des objets qui n'ont pas de prototypes connus. Dès le xvie siècle, on fabriqua des faux monstres pour alimenter les cabinets d'histoire naturelle ; au xviiie siècle apparurent les ceintures de chasteté, qu'on imaginait avoir été employées par les croisés pour s'assurer de la fidélité de leurs épouses pendant leur absence. L'industrie des fausses enseignes de pèlerinage en plomb ou en étain eut pour corollaire celle des plombs érotiques. Les « baphomets », idoles qu'un orientaliste viennois supposait en 1818 avoir été adorées par les Templiers, inspirèrent des faussaires ; d'autres inventèrent une écriture mozarabe ; les inscriptions « moabitiques », faites à la fin du xixe siècle, sont tout aussi fantaisistes. Un falsificateur ingénieux ajouta à la classification des trois âges de la pierre, du bronze et du fer un hypothétique « âge de la corne ». D'autres ont fabriqué des idoles sardes pour alimenter les fouilles du général Alberto Lamarmora (1789-1863). Si la supercherie de Van Meegeren eut un tel succès, ce n'est pas seulement à cause de son incontestable habileté, mais aussi grâce à l'idée vraiment géniale qu'il eut de fabriquer avec les Pèlerins d'Emmaüs un Vermeer qui, bien qu'insolite, comblait néanmoins l'attente des érudits qui avaient émis l'hypothèse d'une formation caravagiste du peintre de Delft par l'intermédiaire de l'école d'Utrecht.

La collaboration de la critique d'art et de l'érudition est en effet essentielle dans la genèse du faux. Un des étonnements du public, lorsque éclate une affaire de faux, est de constater les incertitudes des spécialistes. Il est de fait que les plus grands experts du xxe siècle, le docteur Bode, directeur des musées de Berlin, l'Allemand Alfred Stange, les Hollandais Hofstede de Groot et Bredius, l'Américain Bernhard Berenson, les Français Salomon Reinach et La Faille se sont trompés, et fort lourdement. Cela est certainement dû au fait que le spécialiste n'est pas entièrement libre de son jugement devant un objet nouveau, étant trop naturellement mû par la curiosité de la recherche, par le désir d'ajouter un exemplaire aux pièces répertoriées. Le simple connaisseur, l'amateur présentent plus de disponibilité d'esprit, car il ne s'agit pas pour eux d'ajouter à un tableau de chasse un Rembrandt, un Vermeer, un Masaccio ou un Van Gogh.

La réussite du faux repose aussi sur une indiscutable complaisance de l'acheteur. Libre à chacun de croire qu'il a découvert le lit de Jeanne la Folle, le fauteuil de Charles Quint ou le bidet de Marie-Antoinette. Il est extrêmement difficile de détromper un amateur convaincu, que ne peuvent persuader les évidences les plus tangibles. Le plus extraordinaire exemple de cette naïveté est celui du mathématicien Michel Chasles, membre de l'Académie des sciences, qui acheta au faussaire Vrain-Lucas vingt-sept mille autographes de toutes époques, y compris de l'époque romaine, tous rédigés en vieux français. Le faussaire fut condamné, presque malgré sa dupe, en[...]

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Écrit par

  • : conservateur en chef au musée du Louvre, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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