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ART (Le discours sur l'art) L'histoire de l'art

Comme toute histoire, l'histoire de l'art a commencé par la Fable. Dans la plupart des civilisations, un mythe expose l'origine des techniques et des formes traditionnelles : dans le monde grec, le récit de Dédale sert d'introduction à toute l'architecture, celui de Pygmalion aux pouvoirs de la sculpture. À ces fables antiques, on peut rattacher une tendance encore vivace durant tout le Moyen Âge, plus encore à la Renaissance, et qui est peut-être un trait irréductible de l'esprit humain à donner un caractère héroïque ou légendaire aux nouveautés artistiques : le thème de ces récits est toujours soit la merveille des tours de force naturalistes, soit l'impertinence glorieuse des maîtres et leur non-conformisme. L'histoire de l'art, destinée à être populaire, retient avant tout les épisodes extraordinaires qui valorisent des personnalités d'exception comme Giotto, Caravage, Cézanne, Picasso.

En dehors de ces fictions, il ne pouvait être question, dans l'Antiquité grecque et jusqu'à l'époque alexandrine, de faire un sort aux artistes : le sculpteur, le peintre sont des artisans, socialement classés assez bas, dont la philosophie platonicienne condamne expressément la recherche « moderne » d'illusionnisme et l'attachement aux formes sensibles. L'histoire de l'art n'a aucun sens pour une culture intellectualiste : il n'y a pas de muse pour les arts plastiques. Cette résistance était destinée à reparaître régulièrement au cours des âges : dans beaucoup de civilisations, l'activité de l'artiste, entièrement assimilé au technicien, n'a de sens que subordonnée à des fins religieuses ou politiques. Il en résulte une autre tendance fondamentale, qui est d'imposer à l'histoire de l'art, pour la justifier, une fonction normative – c'est ce qu'on observera, en particulier, à l'âge classique – ou de n'y voir que l'illustration de l'évolution globale des sociétés, comme on le fait souvent encore aujourd'hui.

Dans l'Antiquité, l'intérêt historique pour l'art ne donnera finalement naissance à une littérature explicite que sur le tard. Il s'agit de deux genres apparemment mineurs, mais d'un intérêt capital pour l'archéologie moderne : l'un est le « guide des voyageurs » dont Pausanias (iie s. apr. J.-C.) offre le modèle, en décrivant la Grèce ville par ville, trésor par trésor, à l'usage des touristes romains ; l'autre est la nomenclature des noms d'artistes introduite par Pline l'Ancien (ier s.) dans son Histoire naturelle comme une digression (livres XXXV-XXXVI) rattachée aux matériaux : minéraux, terre, métal. Ces deux formules, le répertoire topographique des statues ou peintures notables et des édifices à visiter, d'une part, et, d'autre part, le catalogue chronologique des maîtres connus ou célèbres, tirés de l'oubli à l'aide d'anecdotes typiques et de la mention d'ouvrages fameux, étaient vouées à un succès durable. Elles ont toujours constitué, même au Moyen Âge où les guides se réduisent à des « itinéraires de pèlerins » et les listes à quelques figures symboliques, la base d'une histoire de l'art purement documentaire et énumérative. Ce groupe de textes grecs et romains va jouer un rôle presque démesuré dans la culture occidentale, dans la mesure où des statues comme l'Athéna de Phidias, les chefs-d'œuvre de l'orfèvrerie et les temples fameux ne sont connus que par la seule description, et les artistes illustres par les seuls titres de leurs compositions : ainsi Apelle avec son Aphrodite Anadyomène ou sa Calomnie. Les textes, dès qu'ils seront relus de près, à la Renaissance, vont paradoxalement entretenir avec le souvenir d'un monde perdu la[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Institut, professeur au Collège de France

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Joachim von Sandrart. - crédits : Sepia Times/ Universal Images Group/ Getty Images

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