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ART (Le discours sur l'art) L'histoire de l'art

Une discipline nouvelle

C'est pourtant au xviiie siècle que le climat intellectuel allait amener l'apparition d'une attitude radicalement nouvelle ; pour rompre avec tous les aspects du « vasarisme », il fallait une double concentration sur le concret des formes et sur les articulations spécifiques du développement. Le Lehrgebäude der Geschichte der Kunst in der Altertum (Dresde, 1764), de Winckelmann, définit pour la première fois l'idée d'une histoire de l'art par les styles diversifiés selon les lieux et les temps, à propos de la sculpture grecque et romaine, devenue, au lieu de la peinture, la catégorie la plus favorisée. Une discipline bien définie par l'attention à une certaine catégorie d'objets se trouvait ainsi constituée. On était à l'âge des musées : des pinacothèques et des glyptothèques géantes allaient être édifiées dans toutes les capitales. Le xixe siècle, siècle de l'histoire, est aussi celui des collections et de la course aux acquisitions. Les « connaisseurs » se multiplient, attentifs au document, et soucieux d'une précision nouvelle ; l'archéologie médiévale s'oriente vers des analyses et des classements précis, avec Arcisse de Caumont dont le Cours d'antiquité date de 1836 (il formule la notion d'art « roman ») ; l'étude des peintures devient une discipline d'experts avec une figure typique comme celle de l'Italien Cavalcaselle à qui l'on doit, en collaboration avec Crowe, une nouvelle présentation des primitifs flamands (1856) et italiens (1864). Une personnalité active, Giovanni Morelli, concentrant l'attention sur les attributions, tente d'élaborer une méthode stricte d'analyse à partir de certains détails révélateurs du dessin ; cette ambition d'asseoir l'histoire de l'art sur de véritables « diagnostics » séduisit un moment un expert éminent, de renommée mondiale, B. Berenson, mais il finit par souligner de plus en plus expressément les limites du « morellisme » et de la critique d'attribution.

Sous sa forme universitaire, l'histoire de l'art « positive » avait acquis en Allemagne une autorité remarquable avec K. F. von Rumohr. Ses Italienische Forschungen de 1827 eurent une postérité considérable ; elles imposèrent pour près d'un siècle une méthode qui procède à la critique des sources, pratique la comparaison méthodique, considère les influences, en se défiant également de trop accorder à la biographie des artistes et aux grandes formules trop ouvertes. Cette exigence d'analyse, parfois aiguisée par l'intuition, s'oppose délibérément à l'histoire de l'art « systématique », de dérivation hégélienne. Dans les Vorlesungen über Ästhetik, publiées en 1835-1838, Hegel prête à chaque époque un même « esprit », défini par sa place dans l'évolution universelle, entraînant le primat d'une certaine forme d'art et se réfléchissant dans le style. L'art ne peut être finalement appréhendé que comme le total de sa propre évolution, à travers une série de phases où ont paru, en tant qu'incarnations successives de l'idée, l'architectonique, le plastique ou le pictural, chaque stade « dépassant » et se subordonnant les autres. L'idée arrivant à une expression plus complète dans d'autres manifestations, l'art ne saurait plus être qu'un mode d'expression subordonné ; mais l'histoire de l'art, culte rendu aux créations successives de l'esprit humain, va dès lors occuper une place de choix dans la philosophie « dialectique ». L'histoire de l'art consomme le dépérissement de l'art : affirmation qui, nécessairement, rend dramatique l'insertion de cette discipline dans la culture moderne.

La forte construction systématique[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Institut, professeur au Collège de France

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Joachim von Sandrart. - crédits : Sepia Times/ Universal Images Group/ Getty Images

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