Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ART (Le discours sur l'art) L'histoire de l'art

Une discipline spécifique

Le premier ouvrage d'histoire de l'art assortie d'une illustration méthodique avait été l'Histoire de l'art par les monuments (xve-xvie s.) par Séroux d'Agincourt (Paris, 1811-1829). L'illustration au trait occupe une place remarquable dans le Handbuch der Kunstwissenschaft de F. Kugler (Berlin, 1842). Le dessin au trait et le schéma explicatif continuent d'être en usage, mais, dès le troisième quart du siècle, la photographie donnait de nouvelles possibilités et ouvrait de nouveaux horizons. Elle modifiait le rôle de la description et invitait à constituer des collections nouvelles de documents ; permettant de multiplier les confrontations, elle amenait à mieux sentir l'originalité du monde des formes et à spéculer sur ses inépuisables ressources qui ouvraient des directions imprévues.

Héritier et successeur de Jacob Burckhardt, H.  Wölfflin se donne pour but d'achever de libérer l'histoire de l'art de toute facilité anecdotique, en subordonnant rigoureusement la mention de l'artiste à l'examen des œuvres, et de donner à celui-ci un cadre de notions propres à permettre une histoire purement « formelle » des styles. C'est moins dans Die klassische Kunst (Munich, 1899) – dont l'arrière-plan reste très traditionnel – que dans Kunstgeschichtliche Grundbegriffe (Berlin, 1915) que cette tentative prit toute sa portée : elle conduisait à la distinction et au balancement de concepts couplés – et n'ayant de sens que par paire : linéaire-pictural, surface-profondeur, forme fermée-forme ouverte, unité-multiplicité. Les deux sommes symétriques de ces caractères amènent à définir deux constantes, l'une classique, l'autre baroque, dont Wölfflin découvre la réalisation historique dans l'opposition des styles du xvie et du xviie siècle. La conception du « style idéal » chère au xviie siècle prenait une signification nouvelle : elle offrait deux versants complémentaires dont la polarité pouvait d'ailleurs être valable pour d'autres époques et d'autres cycles. Toute l'histoire artistique se trouvait interprétée par le seul appel à l'analyse interne des formes et des modes de composition. Un nouveau stade était atteint. Cet enseignement – qui trouva de nombreux prolongements – allait stimuler l'ensemble de la discipline, à la fois par la pénétration de ses analyses et par les lacunes frappantes du système.

La notion d'« antinomies » fondamentales qui seraient au principe de l'évolution des styles était parallèlement élaborée par l'école de Vienne, mais avec des préoccupations différentes. A.  Riegl, dans ses Stilfragen (Vienne, 1893) portant sur la composition des tapis orientaux et dans son Spätrömische Kunstindustrie (Vienne, 1901) où étaient étudiés pour la première fois les arts « barbares », avait délibérément porté le champ des investigations dans des domaines non classiques, pour libérer l'historien des implications culturelles inévitables dans les domaines familiers de l'Antiquité grecque et romaine, du Moyen Âge roman et gothique, ou de l'âge classique. On pouvait enfin discerner combien est erronée l'interprétation « naturaliste » de l'art, sous-jacente à la plupart des théories et des histoires. À l'idée factice de l'« imitation de la nature », il fallait opposer celle de l'« intention artistique » (Kunstwollen), impulsion première de tout artiste. Celui-ci se trouve, dans les cas simples où il n'est pas contraint par la culture, en présence d'une bifurcation primordiale : il doit choisir sa direction entre l'effet « tactile » (haptisch) et l'effet « optique » (optisch), le premier (vu de près) détachant les éléments sur un fond où le second (vu de loin) tend à les[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : membre de l'Institut, professeur au Collège de France

Classification

Média

Joachim von Sandrart. - crédits : Sepia Times/ Universal Images Group/ Getty Images

Joachim von Sandrart.

Autres références

  • ANTHROPOLOGIE DE L'ART

    • Écrit par et
    • 3 610 mots
    • 1 média

    L’anthropologie de l’art désigne le domaine, au sein de l’anthropologie sociale et culturelle, qui se consacre principalement à l’étude des expressions plastiques et picturales. L’architecture, la danse, la musique, la littérature, le théâtre et le cinéma n’y sont abordés que marginalement,...

  • ART (notions de base)

    • Écrit par
    • 3 282 mots

    Les liens qui ont longtemps uni l’art et la religion se sont-ils distendus au fil de l’histoire ? L’art s’est-il émancipé de la religion pour devenir une activité culturelle autonome ? Alain (1868-1951) se serait-il trompé en affirmant que « l’art et la religion ne sont pas deux choses,...

  • FINS DE L'ART (esthétique)

    • Écrit par
    • 2 835 mots

    L'idée des fins de l'art a depuis plus d'un siècle et demi laissé la place à celle d'une fin de l'art. Or, à regarder l'art contemporain, il apparaît que la fin de l'art est aujourd'hui un motif exsangue, et la question de ses fins une urgence. Pourquoi, comment en est-on arrivé là ?

  • ŒUVRE D'ART

    • Écrit par
    • 7 938 mots

    La réflexion du philosophe est sans cesse sollicitée par la notion d'œuvre. Nous vivons dans un monde peuplé des produits de l'homo faber. Mais la théologie s'interroge : ce monde et l'homme ne sont-ils pas eux-mêmes les produits d'une démiurgie transcendante ? Et l'homme anxieux d'un...

  • STRUCTURE & ART

    • Écrit par
    • 2 874 mots

    La métaphore architecturale occupe une place relativement insoupçonnée dans l'archéologie de la pensée structurale qu'elle aura fournie de modèles le plus souvent mécanistes, fondés sur la distinction, héritée de Viollet-le-Duc, entre la structure et la forme. La notion d'ordre, telle que l'impose la...

  • TECHNIQUE ET ART

    • Écrit par
    • 5 572 mots
    • 1 média

    La distinction entre art et technique n'est pas une donnée de nature. C'est un fait social : fait qui a valeur institutionnelle et dont l'événement dans l'histoire des idées est d'ailleurs relativement récent. C'est dire qu'on ne saurait non plus considérer cette distinction comme un pur fait de connaissance...

  • 1848 ET L'ART (expositions)

    • Écrit par
    • 1 189 mots

    Deux expositions qui se sont déroulées respectivement à Paris du 24 février au 31 mai 1998 au musée d'Orsay, 1848, La République et l'art vivant, et du 4 février au 30 mars 1998 à l'Assemblée nationale, Les Révolutions de 1848, l'Europe des images ont proposé une...

  • ACADÉMISME

    • Écrit par
    • 3 543 mots
    • 2 médias

    Le terme « académisme » se rapporte aux attitudes et principes enseignés dans des écoles d'art dûment organisées, habituellement appelées académies de peinture, ainsi qu'aux œuvres d'art et jugements critiques, produits conformément à ces principes par des académiciens, c'est-à-dire...

  • ALCHIMIE

    • Écrit par et
    • 13 642 mots
    • 2 médias
    ...phénomènes perçus par nos sens et par leurs instruments. Cette hypothèse peut sembler aventureuse. Pourtant, le simple bon sens suffit à la justifier. Tout art, en effet, s'il est génial, nous montre que le « beau est la splendeur du vrai » et que les structures « imaginales » existent éminemment puisqu'elles...
  • ARCHAÏQUE MENTALITÉ

    • Écrit par
    • 7 048 mots
    ...le succès correspond peut-être à un besoin accru encore par les progrès de la pensée positive et pour ainsi dire en réaction contre elle. D'autre part, on peut trouver dans la vie artistique, sous toutes ses formes, la recherche d'une harmonie entre le subjectif et l'objectif, en même temps qu'un retour...
  • Afficher les 41 références