ART (Le discours sur l'art) Sémiologie de l'art
Une sémiologie de l'art engage son existence et la nature de ses fondements dans sa prétention à la scientificité : dans la mesure où elle est langage de quelque chose (du visible) qui n'est peut-être pas langage, ou, en tout cas, qui l'est autrement ; dans la mesure aussi où elle est langage sur ce qui doit nécessairement rester en dehors du champ du langage et qui se présente comme un défi au langage, une science de l'art est-elle possible ? L'objet même qu'est la peinture ou l'art en général ne se dérobe-t-il point, par essence, à ce qui constitue l'essence de tout projet scientifique ? La position du problème de la sémiologie comme science générale des signes découvre chez Saussure une ambiguïté qui tient à cette science même : la linguistique ne peut se constituer comme science que si elle s'intègre dans une science générale des signes, mais cette science générale des signes autres que les signes linguistiques ne pourra se constituer que sur le modèle de la linguistique comme science.
La sémiologie a bien pour objet tout système de signes, quelle qu'en soit la substance, quelles qu'en soient les limites. Mais, dans la mesure où les tableaux, les gestes, les édifices, les mélodies ne sont pas des objets linguistiques, la constitution de la sémiologie de l'art implique la médiation nécessaire du langage dans tout système sémiologique extra-linguistique. Cette difficulté est connue et a été surmontée par la distinction du langage objet et du métalangage : la sémiologie est un métalangage, puisqu'elle prend en charge, à titre de système second, un langage premier qui est le système étudié, et ce système-objet est signifié à travers le métalangage de la sémiologie.
Ainsi, le discours sémiologique est possible sur les langages de l'art. Mais le problème que posent ces derniers est-il seulement celui d'un métalangage ? N'est-ce pas oublier le niveau même du système sémiologique non linguistique où cependant le langage intervient constamment pour doubler sans cesse le visible dans et par les catégories du langage ? Le problème essentiel d'une sémiologie du visible est la lexicalisation à la fois immédiate et nécessaire de la représentation que l'analyse sémiologique devra simultanément utiliser et critiquer. L'objet d'art est, dès lors, ce texte figuratif dans lequel le visible et le lisible se nouent l'un à l'autre, selon une trame continue dans laquelle l'analyse devra articuler, grâce au langage, la surface, le volume ou l'espace sans déchirure qui se donnent à voir.
La lecture du tableau
On prendra comme exemple privilégié l'objet pictural : le tableau est un texte figuratif et un système de lecture. Il se voit globalement, comme une totalité qui implique non seulement un point de vue qu'éventuellement un code perspectif peut déterminer, mais aussi le retranchement de l'espace du tableau, de l'espace existentiel, comme un espace autre qui se constitue en un lieu « utopique ». Complément nécessaire de ce premier principe s'introduit un second principe, dit de narrativité, qui peut être généralisé comme discours du regard, comme une lecture plastique du tableau. L'acte de lecture déroule ainsi une succession à l'intérieur de l'instant de vision, et le problème qui se pose à l'analyse sémiologique est de se demander comment l'unité de vision sera articulée et découpée par la discursivité de la lecture sans jamais cesser d'être une. L'unité de vision du tableau est une totalité organique de mouvements de l'œil, une structure de regards et le tableau est le jalonnement de la surface plastique par un ensemble de « signes » à la fois topiques et dynamiques destinés à différer, dans une différence à la fois temporelle et spatiale, l'accomplissement de l'unité de vision comme totalité structurée. La conjugaison[...]
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Écrit par
- Louis MARIN : professeur d'Université, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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