NAÏF ART
La naïveté et ses frontières
Chez tous ces artistes, en effet, le mécanisme de l'inspiration se déroule d'une manière qui évoque l'automatisme des peintres médiumniques : la toile se peint entre leurs mains (ou le rocher se sculpte) comme s'ils étaient de simples intermédiaires, d'humbles instruments des « esprits ». Ce qui les sépare des peintres-médiums, c'est que chez ceux-ci l'automatisme est créateur de structures autonomes, parfaitement régulières ou abstraites. Pourtant, si l'on remarque ce qu'il y a de mécanique et de stéréotypé dans les ponctuations de Hirshfield, les vagues ou les papiers peints de Peyronnet, les hachures atmosphériques de Skurjeni, on est bien forcé de convenir que la cloison qui les sépare de médiums tels qu'Augustin Lesage ou Joseph Crépin est infiniment mince. Peut-être faut-il alors recourir à la même distinction qui sépare les peintres surréalistes de la mouvance de Chirico de ceux qui ont recours, comme Miró, à l'automatisme, les premiers s'exprimant par référence à des objets décrits avec exactitude, les autres inventant en quelque sorte rythmiquement leurs formes ? En tout cas, il suffit que la question soit posée pour que soit remise en cause la séparation artificielle et très extérieure entre l' art dit naïf et l'art dit brut, séparation jalousement entretenue par certains « spécialistes ». Si l'on se souvient que, dans le surréalisme, un Yves Tanguy, par exemple, dérive de Giorgio De Chirico tout en pratiquant un automatisme fondamental, on entrevoit tout l'avantage qu'il y aurait à abolir des catégories aussi arbitraires au profit d'une analyse des diverses modalités de la création populaire spontanée. Il est d'ores et déjà abusif d'englober Séraphine et Friedrich Schröder-Sonnenstern dans des expositions d'art « naïf », comme ce l'est d'annexer Jeanne Beaubelicou ou Joseph Moindre à l'art « brut ». Les préférences personnelles (ou les intérêts) doivent cesser de s'opposer à un regard plus pénétrant dont dépend certainement la compréhension de l'art moderne tout entier. Car ce qui est commun aux uns et aux autres, si surprenant qu'il y paraisse, c'est ce refus du réalisme à propos duquel on a pu lire précédemment les avis convergents d'Uhde et de Breton.
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Écrit par
- José PIERRE : directeur de recherche au C.N.R.S., docteur ès lettres
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Médias
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