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ART (notions de base)

Plaisir et jugement esthétique

L’individu-artiste a précédé l’individu-spectateur, auquel la philosophie ne s’intéressera qu’à partir du xviiie siècle. Il appartiendra à David Hume (1711-1776) de se pencher le premier sur la difficile question du goût. S’interrogeant sur les raisons qui nous amènent à juger belle une œuvre que d’autres jugeront médiocre, Hume est le premier à prendre à bras-le-corps la dimension subjective propre au jugementesthétique. Selon lui, tous nos jugements s’enracinent non dans des idées générales, qui sont de pures fictions, mais dans des impressions propres à chacun. Qu’il s’agisse de jugements moraux ou de jugements esthétiques, « notre approbation est comprise dans le plaisir immédiat que ceux-ci nous apportent ».

Mais si Hume a raison, quelle différence y a-t-il entre l’appréciation d’un bon plat et l’appréciation d’une peinture ? Au subjectivisme absolu de Hume, Emmanuel Kant (1724-1804) opposera de puissants arguments redonnant au jugement esthétique sa spécificité, sans renoncer pour autant à la part ineffaçable de la subjectivité.

Dans sa troisième Critique, la Critique de la faculté de juger (1790), Kant part à la recherche des caractéristiques du jugement esthétique. Qu’est-ce que le spectateur (ou l’auditeur s’il s’agit de musique) a présent à l’esprit quand il affirme que ce qu’il voit ou entend est « beau » ? En premier lieu, contrairement au jugement culinaire découlant du seul plaisir éprouvé par l’individu appréciant le plat qui lui est servi, le jugement esthétique est étranger à tout intérêt personnel. « Est beau ce qui est l’objet d’une satisfaction désintéressée », écrit Kant.

En second lieu, le propre du jugement esthétique est sa prétention à valoir pour tout homme, quel qu’il soit. Si, autour d’une table, mon voisin déclare ne pas aimer le foie gras qui vient de lui être servi, cela m’indiffère, voire me réjouit à l’idée qu’il va m’offrir sa part... Mais si, à la sortie d’un concert où la musique interprétée par l’orchestre m’a ému, la personne qui m’accompagne affirme qu’elle est très loin de partager mon enthousiasme, je suis scandalisé. Certes, je ne pourrai pas la persuader par des arguments qu’elle se trompe et que mon jugement est vrai. Mais je discuterai avec elle en tentant de modifier son jugement. S’agissant du foie gras, je dis simplement « cela me plaît », s’agissant d’une cantate de Bach, j’affirme « c’est beau » avec un sentiment profond de certitude : « Est beau ce qui est représenté sans concept comme un objet de satisfaction universelle. » Sans concept, en effet : il n’existe pas de définition du Beau, et c’est heureux car, si tel était le cas, cette définition correspondant à la peinture classique nous conduirait à qualifier nécessairement de laides la plupart des peintures contemporaines.

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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