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NUMÉRIQUE ART

Un art de l'hybridation

On s'interroge aussi sur l'authenticité même d'un art, ou plutôt de pratiques artistiques qui ne feraient que prolonger des savoir-faire existants, plastiques, graphiques, photographiques, cinématographiques, vidéographiques, sans parler du spectacle vivant, de la musique et de la littérature. Beaucoup de ces pratiques, en effet, s'enrichissent grâce à l'apport du numérique. En revanche, le numérique modèle ces pratiques et les subvertit, voire les oblige à se redéfinir. Toutefois, quelle que soit son extrême diversité, s'incorporant ici aux arts plastiques ou à la photographie, ouvrant là sur des pratiques inédites comme le multimédia, l'art en réseau, la réalité virtuelle, qui bouleversent non seulement la création des formes sensibles mais leur réception, le rapport intime entre l'œuvre, l'auteur et le spectateur, l'art numérique est traversé par une esthétique commune qui prend source au cœur de la technologie : une esthétique de l'hybridation.

Héritière de la tradition, très active au xxe siècle, des mélanges, collages, inclusions, incrustations, croisements et métissages entre les arts, l'hybridation numérique opère à un niveau plus profond : celui de l'unité d'information et de sa programmation. Pour ainsi dire – métaphoriquement – à un niveau quasi génétique. Elle affecte non seulement la morphogenèse des œuvres mais tous les phénomènes touchant à leur réception.

En outre, l'hybridation affecte intimement les relations entre l'art, la science et la technique. Tous les programmes nécessaires à la production des objets virtuels reposent sur des algorithmes de simulation, lesquels s'inspirent de modèles logico-formels issus non seulement de l'informatique et des mathématiques, mais de beaucoup d'autres sciences, de la physique à la neurobiologie. L'ordinateur ne peut donner à percevoir que ce qui est modélisable. Tout objet virtuel, artistique ou non, mais aussi toute mise en circulation de cet objet nécessitent d'être d'abord modélisés. La science et sa vision rationalisante s'insinuent au cœur des processus artistiques, souvent à l'insu même des artistes. La science n'est plus source d'inspiration pour l'art, comme elle l'a été pendant très longtemps, elle en devient partie intégrante, elle s'y s'incarne. Ce qui interdit aux yeux de certains critiques toute possibilité d'un art numérique. Le sens ne saurait naître d'une machine programmable pour la raison que tout vécu corporel y est éliminé. À l'opposé, d'autres considèrent l'art numérique comme un art du paradigme, sorte d'hypermodèle qui contiendrait à la fois son origine et sa vérité. Les formes proposées à la jouissance du spectateur n'auraient d'autre but que de le faire accéder à la contemplation du paradigme, le sensible devant conduire anagogiquement à l'intelligible.

Il est vrai que le problème qui se pose à l'artiste est singulièrement ardu. Car il s'agit en effet pour lui de créer du sensible avec de l'intelligible. Alors que les matériaux traditionnels offraient une résistance et une richesse infinie – celle du réel même –, les matériaux numériques ne sont qu'algorithmes sans poids, sans épaisseur, abstraits. Mais cela ne suffit pas à réduire l'art numérique à un art dématérialisé ou décorporisé. Même lorsqu'une œuvre sollicite peu, voire nullement, la présence corporelle du spectateur, comme certaines œuvres « génératives » qui ne sont interactives qu'avec elles-mêmes, elle témoigne, du moins en intention, d'une volonté de dialogue entre son créateur et l'ordinateur, d'une hybridation intime entre l'homme et la machine. À plus forte raison, lorsque les œuvres sollicitent la participation effective du spectateur, son vécu corporel s'incorpore aux[...]

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