Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

OPTIQUE ET CINÉTIQUE ART

L'instabilité visuelle

Tout en restant dans le plan, Victor Vasarely (1908-1997) avait commencé dès le milieu des années 1950 à exploiter les violents effets perceptifs entraînés par la répétition systématique de formes identiques et par la juxtaposition contrastée du blanc et du noir dans de grandes grilles à lecture réversible (Supernovae, 1959-1961). Leur surface tressautante donne alors l'impression de ne plus adhérer au support mais de surgir vers l'œil du spectateur, quand elle ne génère pas, par des déformations calculées portant sur la trame ou la répartition des tons et des valeurs, de fantastiques illusions de relief ou de profondeur (Vega 200, 1968). La cible, qui attire le regard dans son pas de vis scopique, est un motif récurrent de ces tableaux. Il est également utilisé par Bridget Riley (Acceleration Circle, 1961) et Marina Apollonio dans la série des Dinamica circolare (à partir de 1964-1965). Mais il se présente le plus souvent diffracté le long de lignes de rupture et haché par les effets stroboscopiques du noir et du blanc, à l'instar des Cercles fractionnés de Julio Le Parc (1965) ou du Grand Disque stroboscopique des artistes italiens du Gruppo M.I.D. (Movimento Imagine Dimensione ; 1968).

Bridget Riley - crédits : Tony Evans/ Timelapse Library Ltd/ Getty Images

Bridget Riley

Lorsqu'ils créent en 1960 à Paris le Groupe de recherche d'art visuel (G.R.A.V. ; Le Parc, Morellet, Garcia-Rossi, Sobrino, Stein, Yvaral), ses membres déclarent vouloir produire « des œuvres dont l'essentiel relève de l'exercice de la perception visuelle et de la conscience que le plasticien aussi bien que le spectateur peuvent avoir de la vision ». Du reste, ils proposent de substituer au mot « art » l'expression « expérience visuelle située sur le plan de la perception physiologique ». Beaucoup de leurs œuvres sollicitent, par la distribution répétitive de microstimuli sur l'ensemble de la surface, non pas le pouvoir constructeur de la vision centrale, mais le caractère amorphe de la vision périphérique – au risque assumé des effets de désorientation et d'instabilité qui pourraient en découler. L'instabilité est également au cœur de l'expérience du spectateur dans le Cube à structure graphique (1964-1968) de Getulio Alviani ou dans Continuum (1963) de Bridget Riley. La réception de son œuvre a souvent oscillé entre les deux pôles – plaisir et déplaisir – de l'activité perceptive. Là où certains privilégient des effets perceptifs particulièrement éprouvants, l'artiste parle, elle, des sensations de caresse éprouvées par l'œil glissant le long des surfaces ondoyantes de toiles comme Fall (1963).

Ces tendances opticalistes sont à leur sommet en 1965, au moment de l'exposition The Responsive Eye, qui se tient à New York au Museum of Modern Art. Son organisateur, William Seitz, place l'événement sous le signe de « l'activation de la vision » et fait triompher ce qu'il appelle l'« abstraction perceptuelle », dont les œuvres seraient, selon lui, moins intéressantes en tant qu'objets autonomes qu'en tant que génératrices de réponses sensitives (c'est d'ailleurs dans la fièvre précédant l'ouverture de l'exposition qu'un critique du Time lance pour sa part l'éphémère dénomination op'art, pour optical art). Mais le milieu de l'art américain reçoit si mal cette tendance, qui semble pouvoir remettre en cause son hégémonie, que Seitz est poussé à la démission. Un deuxième volet, consacré au lumino-cinétisme, ne verra jamais le jour.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université de Grenoble-II-Pierre-Mendès-France

Classification

Médias

Bridget Riley - crédits : Tony Evans/ Timelapse Library Ltd/ Getty Images

Bridget Riley

Spazio elastico, G. Colombo - crédits : G. Pizzagalli/ Courtesy Archive Gianni Colombo, Milan

Spazio elastico, G. Colombo

Autres références

  • DYNAMO (exposition)

    • Écrit par
    • 1 142 mots
    • 1 média

    Au printemps de 2013, trois grandes institutions parisiennes ont fait le choix de réactualiser les recherches d’un certain nombre d’artistes que l’histoire de l’art a qualifiés de « cinétistes ». Ainsi, au palais de Tokyo, une monographie était consacrée à Julio Le Parc et le Centre...

  • L'ŒIL MOTEUR. ART OPTIQUE ET CINÉTIQUE 1950-1975 (exposition)

    • Écrit par
    • 948 mots

    L'exposition organisée en 2005 par le musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg sur l'art optique et cinétique de 1950 à 1975 s'inscrit dans la suite des manifestations Aux origines de l'abstraction au musée d'Orsay, en 2003-2004, et Sons et lumières au Centre...

  • AGAM YAACOV (1928- )

    • Écrit par
    • 490 mots

    Né en 1928 à Rishon-le-Zion (Palestine sous mandat britannique, actuel Israël), c'est à Zurich, où il arrive en 1949 après des études à Jérusalem, que Yaacov Agam trouve son vocabulaire plastique dans le milieu qui voit se développer l'art concret suisse.

    Il rencontre Johannes...

  • ANUSZKIEWICZ RICHARD (1930- )

    • Écrit par
    • 218 mots

    Peintre américain, né le 23 mai 1930 à Erie, en Pennsylvanie.

    Richard Joseph Anuszkiewicz fait des études au Cleveland Institute of Art (1948-1953), à la School of Art and Architecture de l'université Yale (1953-1955) et à la Kent State University (licence d'éducation, 1956). En 1967, il est artiste...

  • BARANOFF-ROSSINÉ VLADIMIR (1888-1944)

    • Écrit par
    • 776 mots

    Figure importante de l’histoire de l’art du xxe siècle, Vladimir Baranoff-Rossiné est né à Kherson en 1888, dans une famille juive ukrainienne. Musicien, peintre et sculpteur, l’artiste est également connu pour ses inventions synesthésiques consacrées à l’union du son, de la forme et de la couleur....

  • BAUHAUS

    • Écrit par
    • 4 461 mots
    • 6 médias
    ...Hirschfeld-Mack, par leur œuvre et leurs recherches sur le mouvement, la couleur, la lumière et les illusions d'optique, ont posé tous les principes de l'«  art cinétique » qu'un Schöffer et un Vasarely développèrent, parmi d'autres, quelque vingt-cinq ans plus tard. Les architectes Breuer et Bayer, entièrement...
  • Afficher les 23 références