OPTIQUE ET CINÉTIQUE ART
Cybernétique et musique des couleurs
Nicolas Schöffer (1912-1992), de son côté, s'est servi de ses constructions de plans dans l'espace comme de réflecteurs dont la structure prend forme d'anamorphose dans le jeu des éclats lumineux et des ombres portées (Lux I, 1957). Plus tard, les Chronos intègrent dès la conception leur propre programmation mouvante et lumineuse, commandée par un servo-mécanisme (Chronos 10, 1969). Porté par la révolution cybernétique, il avait auparavant réalisé Cysp I (1956), une surprenante sculpture aux déplacements autorégulés en fonction des sons et des intensités lumineuses perçus, qui semblait se mouvoir et agir de sa propre initiative, prélude aux Floats (sculptures flottantes, à partir des années 1960) de Robert Breer, et à plusieurs générations de robots électroniques. Schöffer conçoit alors la possibilité d'un art dont l'existence résiderait avant tout dans la communication de signaux sonores et visuels. La Grande Tour cybernétique, construite en 1955 au parc de Saint-Cloud, produisait des motifs musicaux à partir d'une matière sonore préenregistrée par Pierre Henry et réorganisée aléatoirement en fonction des signaux ambiants, notamment lumineux et thermiques, reçus par les capteurs de la tour. Perfectionné, ce modèle engendre la grande féerie sonore et lumino-cinétique que la Tour spatiodynamique cybernétique de Liège (1961) était chargée d'orchestrer autour d'elle et sur la façade du palais des Congrès de la cité belge. Avec ces réalisations, auxquelles il faudrait ajouter l'exemple de la « Kusic[Kinetic Music] » de Frank Malina, la matière sonore apparaît comme une composante de la programmation qui régit le fonctionnement évolutif de l'œuvre.
Ce modèle cybernétique permet ainsi d'envisager un vaste système de correspondances entre les arts, par conversion électronique d'un signal en un autre, et laisse entrevoir une explication fondamentale du phénomène de la synesthésie. En intitulant une de ses œuvres Optophonium (1961), l'artiste allemand Hermann Goepfert, proche du groupe Zero, rappelait que ces réflexions trouvent toutes leur origine dans l'Optophone (1921) de Raoul Hausmann. Son modèle était défini par l'ex-dadaïste comme un dispositif de conversion multimédia, dont l'agencement électrisé révélait les connexions possibles, d'un registre sensoriel à l'autre, au sein du système nerveux. Le même principe commande les différentes versions des Couleurs sonores, dans les années 1960, de Gregorio Vardanega, avec leurs colonnes cylindriques formées d'anneaux en Duralumin poli intercalés avec des anneaux de Plexiglas translucide, où les contacteurs du cervomécanisme assurent la synchronisation parfaite entre le déclenchement d'une ampoule lumineuse et d'une note de musique. Avec son environnement Fiat Lux (1967), Yaacov Agam avait quant à lui établi la possibilité de transformer les sons émis par la voix ou le corps en lumière, tandis que sa Sculpture gestuelle sonore (1973), un simple parallélépipède blanc dissimulant des capteurs et un cerveau électronique, était chargée de convertir les gestes en sons.
Le Musiscope (1960) de Schöffer, « piano » électrique dont le clavier commandait une projection de lumière colorée reçue par un écran dépoli, met en évidence une autre tradition du lumino-cinétisme : celle des orgues à couleur et de la musique oculaire, réactivée dès le début du siècle par Thomas Wilfred et l'art Lumia, prolongée par le Piano optophonique (1922-1923) de Vladimir Baranoff-Rossiné et par les réalisations de l'artiste tchèque Zdenek Pes̄ánek qui donna, de 1924 à 1930, plusieurs versions de son Spektrophone. Ce dernier est également l'auteur d'un ouvrage méconnu, Kinetismus (Prague, 1941), qui situe clairement l'art cinétique[...]
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Écrit par
- Arnauld PIERRE : professeur d'histoire de l'art à l'université de Grenoble-II-Pierre-Mendès-France
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