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POPULAIRE ART

Art du peuple ou art d'un peuple ?

Charleston - crédits : General Photographic Agency/ Getty Images

Charleston

La statue d'un saint dans une église de campagne, le récipient de terre cuite utilisé pour faire monter la crème du lait, la vielle à roue, la bombarde et le tambourin, la bourrée d'Auvergne et la sardane de Catalogne, voilà, sans conteste, des objet d'art populaire. Mais qu'en est-il de l'église romane elle-même et de ses chapiteaux classés « monument historique », de l'assiette en faïence de Rouen ou en porcelaine de Bayeux, du violon, de l'accordéon et du piano mécanique, de la valse, de la java et du charleston ? En présence d'œuvres de ce genre, hommes de musée, amateurs d'art et ethnographes emploient, pour décider si elles appartiennent à l'art populaire ou non, des combinaisons de critères variés, impliquant autant de partis théoriques distincts.

Les critères les plus fréquemment employés sont ceux qui visent le mode de transmission des normes culturelles : une œuvre est d'art populaire quand la matière, la technique de fabrication, la configuration et la destination sont fixées de tradition immémoriale (1), anonyme (2), orale (3) et non scolaire (4). Utile en première approximation, cette combinaison de critères n'en soulève pas moins de nombreux problèmes. Dans la plupart des pays européens, en effet, l'usage de l'écriture et l'institution de l'école sont très anciens, et largement répandus. Il est rare qu'à un examen approfondi des œuvres, on ne découvre pas quelque modèle savant dans la chaîne de transmission des normes (J. M. Guilcher). Si certains contes populaires sont encore connus de tous, est-ce par transmission orale en marge de l'école, ou n'est-ce pas plutôt par le secours de l'école, qui, en en divulguant des versions savantes, en a sauvé l'essentiel de l'oubli (M. Soriano) ? Et combien de danses, de chansons, de costumes sont-ils les répliques populaires de modèles nobiliaires ou bourgeois qui ont disparu, mais dont l'origine n'est pas moins précisément assignable, et dans la popularisation desquels l'écriture ou l'école sont à quelque moment intervenues ? La transmission par tradition n'est donc pas un critère suffisant pour décider qu'une œuvre est d'art populaire.

Une seconde série de critères vise les sujets de l'activité artistique populaire : une œuvre est d'art populaire quand ses auteurs et ses destinataires appartiennent aux classes populaires. La délimitation de ces classes varie elle-même avec la stratification propre à chaque société : opposition entre le « petit peuple » et les « grands » ; entre les ruraux et les citadins ; entre les paysans, artisans et commerçants, d'une part, les nobles et les clercs, de l'autre ; entre la masse inculte, d'un côté, les gens cultivés, de l'autre, etc. Pour nombre de catégories professionnelles, en effet, des activités spécialisées conduisent à la production d'œuvres typiques : costumes, cérémonies de métier, langage, organisation, qui les distinguent à la fois des catégories voisines et des catégories réservées aux hautes classes de la société. Un art populaire serait alors d'autant plus original et riche de contenu positif que la distance entre classes serait grande. Ces critères, toutefois, sont à eux seuls insuffisants, car les classes populaires ne sont pas définissables hors de leurs rapports avec les classes non populaires : elles n'existent que dans et par les oppositions qui les constituent. Si un rituel agraire, un piège à oiseaux, une marionnette appartiennent à la classe des œuvres d'art populaire, c'est en raison des relations qu'elles entretiennent avec les cérémonies réglées par l'institution ecclésiastique, avec les décrets relatifs au droit de chasse, avec les conventions et l'étiquette régissant les représentations[...]

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Écrit par

  • : conservateur en chef du musée des Arts et Traditions populaires, directeur de recherche au C.N.R.S.

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Médias

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