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ART SACRÉ

Le tournant de 1945 et la « querelle de l'art sacré »

Le père dominicain Marie-Alain Couturier (1877-1954), ancien collaborateur des Ateliers d'art sacré, était une personnalité très écoutée en matière d'art religieux dans les années 1930, d'autant plus qu'il publiait régulièrement ses réflexions dans de nombreux ouvrages et articles, en particulier pour la revue L'Art sacré. Sur le vitrail, par exemple, dont il rappelait le rôle : « la lumière du jour ne [doit] pas troubler notre lumière intérieure » ; plus généralement, il mettait l'accent « sur une certaine valeur d'humanité [...], de sensibilité », qui pouvait être appliquée à toutes les expressions artistiques. Son séjour obligé aux États-Unis pendant la guerre le mit en contact avec d'autres artistes en exil et le conduisit à prendre du recul par rapport à une stylisation arbitraire et à un art moderne figuratif par trop caricatural. De retour en France à la fin des hostilités, c'est-à-dire en pleine reconstruction, il encouragea quelques grands chantiers, comme Notre-Dame-de-Toute-Grâce sur le plateau d'Assy, en Savoie, consacrée le 4 août 1950. Autour de l'architecte Maurice Novarina, une équipe réunit les plus grands noms du moment : F. Léger pour les mosaïques de la façade (réalisation T. Strawinski et Antoniotti), les peintres P. Bonnard, G. Braque, M. Chagall, L. Kijno et H. Matisse, les sculpteurs G. Richier et J. Liptchitz ; J. Lurçat donna les cartons d'une tapisserie (tissée à Aubusson), J. Bazaine, J. Berçot, M. Brianchon, M. Chagall, le P. Couturier et G. Rouault ceux des vitraux (réalisés en majorité par P. Bony qui ouvrait la voie suivie plus tard par B. Simon et C. Marq) auxquels furent jointes les œuvres de peintres-verriers (M. Huré, également interprète de J. Bazaine, P. Bony et A. Hébert-Stevens). L'ensemble ne passa pas inaperçu et l'affaire du Christ sculpté pour le maître-autel par Germaine Richier résume à elle seule l'étendue du scandale : déposé en 1950 à la demande de l'évêque d'Annecy, il ne reprit sa place qu'en 1971. Cependant, le fait que le cinquantenaire de la consécration d'Assy ait été inscrit parmi les célébrations nationales en août 2000 montre le chemin parcouru.

La critique venait en partie des opposants à l'art figuratif. En effet, un courant de pensée se développa à l'abbaye de la Pierre-qui-Vire, autour de la revue Zodiaque, dont le premier numéro (mars 1951) s'ouvrit sur un plaidoyer pour l'art sacré abstrait. Sans rejeter absolument la figuration, « il est bon, de temps à autre, qu'une non-figuration vienne nous rendre le sens du mystère, du caché, du sacré. Il faut même que cette non-figuration vienne baigner la figuration, l'immerger, la résoudre dans l'éternel et l'immuable ». Face aux réalisations d'Assy, le jugement tomba : « Réfugié dans l'expressionnisme, l'art chrétien moderne dans son ensemble s'oppose radicalement au Sacré. L'expressionnisme ne saurait atteindre Dieu, l'Immuable » (1952). À la même époque, mais dans un autre esprit, le peintre Gino Severini, répondant à une question concernant le retour de l'art abstrait, dressa le bilan suivant : « À Byzance, on avait compris qu'une représentation trop matérielle de la réalité était nuisible à l'esprit religieux. On parvint à établir un „compromis“ en excluant la troisième dimension. Mais le modelé réapparaît déjà dans l'art religieux avec Cimabue [...]. Aujourd'hui, nous avons fait le chemin inverse en revenant à l'art abstrait. J'y suis arrivé de mon côté à la même époque que les débuts du cubisme, avec la division de la forme ramenée à ses éléments essentiels » (entrevue avec G. Cattaui, Fribourg,[...]

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