SAINT-SULPICE ART
L'expression « art Saint-Sulpice » est trompeuse, parce qu'elle englobe dans une même appellation et dans un même discrédit des périodes et des artistes très différents, parce qu'elle confond art de reproduction et de grande diffusion avec les recherches d'un art sacré authentique qui sont continues depuis près de deux siècles.
Au sens propre, l'art sulpicien désigne les objets que l'on vend dans les boutiques spécialisées qui avoisinent l'église du même nom à Paris : art industriel et économique, de médiocre qualité, où la mièvrerie et l'affadissement du style rassurent et portent en quelque sorte le cachet d'un art officiel, orthodoxe et sans excès. Ainsi compris, l'art sulpicien est de tous les temps et chaque effort de renouvellement de l'art religieux sécrète, naturellement, sa contrefaçon. Les vierges et saintes, à l'œil blanc et à l'air pâmé, issues d'Ary Scheffer et de son raphaélisme, les statues de la Vierge de Lourdes, mauvaise traduction du modèle médiocre du pieux sculpteur Cabuchet, les effigies trop sensibles de Thérèse de Lisieux ou de saint Antoine de Padoue, même les œuvres néo-byzantines, pâle reflet de l'expérience menée à Beuron, autant, en somme, de manifestations successives de 1850 à 1920 de l'art dit sulpicien.
En fait, l'intérêt de l'art sulpicien n'est pas seulement sociologique ; il est aussi, comme en contretype, le révélateur de l'intérêt que n'a cessé de susciter, contre toute apparence, l'art religieux. Dans la période industrielle et matérialiste qui s'ouvre au xixe siècle, le catholicisme, alors même qu'il doit constamment céder de ses positions officielles, a connu des renouveaux glorieux. Dans les années 1830-1880, on cherche à ressusciter un art religieux authentique, à l'image de la foi restaurée, par les exemples de l'art médiéval. La cathédrale gothique, dans sa pureté du xiiie siècle, Fra Angelico, le peintre qui peint à genoux, seront les modèles sans cesse interrogés et retraduits à travers l'enseignement d'Ingres. Hippolyte Flandrin, Amaury-Duval et, bien sûr, les nazaréens allemands et les préraphaélites anglais sont ainsi à l'origine d'un premier art sulpicien, parfaitement international. L'art sulpicien assumera, dès lors, successivement et trop facilement toutes les tendances artistiques et religieuses du siècle : goût des primitifs, mais aussi volonté de réalisme géographique et ethnique qui, à la suite de Renan, conduit à « hédoniser » l'Évangile (illustrations des bibles de Tissot et de Burnand), religion populaire qui magnifie Joseph, la Madeleine et les saints contemporains, rôle donné à la piété mariale (apparitions de Lourdes et de La Salette, dogme de l'Immaculée Conception), dévotions comme celle de l'ange gardien, tous ces traits de la religiosité du xixe siècle ont évidemment marqué l'iconographie sulpicienne.
L'intérêt est que celle-ci suscite chaque fois une réaction et le renouveau de l'art sacré. Caractéristiques sont à ce propos les années 1890-1930, marquées, grâce aux nabis, par un nouveau retour au primitivisme et au symbolisme. L'abbaye de Beuron en Allemagne, avec le père Mesiderius Lenz, marqué par l'art égyptien et l'archaïsme grec, et surtout avec Dom Verkade, disciple de Gauguin et compagnon de Sérusier et d'Émile Bernard, en est le centre le plus actif. Maurice Denis en France devait être le grand artisan de cette régénération qui allait très vite alimenter un nouvel art sulpicien, jusqu'à la réaction abstraite des années 1930-1960.
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Écrit par
- Bruno FOUCART : professeur à l'université de Paris-Sorbonne
Classification
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