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ART SOUS L'OCCUPATION

La propagande nazie

Dès l'automne de 1940, le groupe Kultur de la Propaganda Abteilung régnait en France sur le monde du théâtre, de la musique, des variétés et des beaux-arts, Un monde qui avait été convié par l'occupant à vivre « comme avant », selon des modalités qu'il fixerait désormais, notamment en matière d'exclusion des créateurs juifs ou des ennemis déclarés du Reich nazi : Picasso et Léger pour leurs positions politiques, le dessinateur Jean-Louis Forain (mort en 1931) parce qu'il avait caricaturé l'Allemagne, Kandinsky parce qu'il avait dirigé le Bauhaus. En outre la propagande nazie travaillait à présenter un visage avenant de l'Allemagne culturelle par le biais de manifestations érudites et mondaines, à l'Institut allemand ou dans la presse (abondante), à travers ses librairies, ses écoles, ses concerts, et ses expositions.

En novembre 1941, le « voyage d'études » en Allemagne de peintres et de sculpteurs français imaginé par Joseph Goebbels illustre une politique habile visant à faire jouer au vaincu lui-même, et dans ses cénacles les plus légitimes, le rôle d'agent de propagande. Comme les écrivains et les artistes de music-hall partis outre-Rhin, des artistes français parmi les plus renommés avaient accepté de visiter les hauts lieux de la culture allemande ainsi que des ateliers d'artistes : les sculpteurs, souvent membres de l'Institut, Charles Despiau, Paul Belmondo, Henri Bouchard, Louis Lejeune et Paul Landowski, directeur de l'École nationale supérieure des beaux-arts ; les peintres Roland Oudot, Raymond Legueult, André Dunoyer de Segonzac mais aussi des artistes qui venaient de l'avant-garde du début du siècle : Kees Van Dongen, Maurice de Vlaminck, André Derain et Othon Friesz. Moins célèbres pour leur engagement politique (généralement inexistant) que pour leur réussite professionnelle, ces artistes servirent la propagande nazie pour des raisons diverses : croyance qu'ils pourraient ainsi permettre la libération de prisonniers, attente des faveurs de l'occupant (en matériel surtout), vanité de représenter l'« art français ». À leur retour, leur récupération par la presse collaborationniste française ne laissait aucun doute sur la nature de l'opération de séduction engagée par le vainqueur. Tandis que les autres préféraient se taire, Bouchard et Dunoyer de Segonzac confiaient aux journalistes leur enthousiasme, à l'instar de Despiau, qui allait signer en outre, quelque temps plus tard la monographie du sculpteur préféré de Hitler : Arno Breker, publiée à l'occasion de sa grande exposition parisienne.

Si le voyage en Allemagne devint pour le milieu l'indicateur de l'instrumentalisation qui menaçait les artistes, l'exposition Arno Breker à l'Orangerie des Tuileries au cours de l'été de 1942 finit de l'instruire. Après ce voyage, plus personne ne pouvait ignorer les enjeux politiques d'une telle manifestation. Arno Breker, qui avait vécu à Paris dans les années 1920 et qui servait de lien entre les milieux nazis et le monde de l'art français, avait été choisi en 1936 par Hitler pour forger l'image du surhomme dont le Führer avait besoin pour imposer son « esthétique ». Sculpteur habile et conformiste, il avait ajouté centimètres et détails au modèle classique et « libéral » du David de Michel-Ange pour livrer un titan gonflé par l'idéologie.

Au début de l'été de 1942, les Parisiens médusés, durent renverser la tête en arrière pour apprécier l'image guerrière et conquérante du vainqueur, imposée par le pouvoir nazi avec l'assentiment de l'État français et des milieux mondains parisiens : Pierre Laval de retour au gouvernement, offrait à Breker un déjeuner à Matignon ; Jacques Benoist-Méchin et Abel Bonnard, ministres, un discours d'inauguration[...]

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Écrit par

  • : professeure des Universités, enseignante à l'université de Picardie et à l'Institut politique de Paris

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Médias

Spoliation des œuvres d'art - crédits : Horace Abrahams/ Getty Images

Spoliation des œuvres d'art

Max Jacob - crédits : Sasha/ Hulton Archive/ Getty Images

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