ART SOUS L'OCCUPATION
La résistance
Le message de ces artistes était certes crypté, obligeant les historiens à reconsidérer la notion courante de « résistance » à l'occupant. Même s'il est impossible d'évaluer avec précision le pourcentage de résistants par catégories socioprofessionnelles, les artistes ne semblent pas s'être distingués par une attitude particulière. En outre, un créateur pouvait procéder à des actions de résistance active et continuer à peindre des choses anodines, tandis que certains pouvaient mener un combat symbolique sans entrer physiquement dans la Résistance. Du refus de s'exprimer (très rare) aux subversions de la norme du moment, toutes les positions étaient permises, tandis que la majorité continua de travailler, tout comme les Français continuaient à vivre, selon ces stratégies d'« accommodement » bien décrites par Philippe Burrin (La France à l'heure allemande. 1940-1944, Seuil, 1995).
Si l'on écarte le « marais », les exilés de l'intérieur ou de l'extérieur refusaient de collaborer à la vie artistique officielle et de voir sombrer la démocratie. André Masson, fort de l'expérience de la Grande Guerre, de la guerre d'Espagne et d'une conscience politique affûtée par le surréalisme, a bien exprimé le sentiment de dégoût qui présidait à l'exil, pour lui, aux États-Unis.
Lorsqu'ils demeuraient en France (souvent faute de pouvoir partir), les artistes modernes continuaient à travailler, malgré des conditions difficiles : restriction matérielle et privation de liberté. Les plus radicaux se voyaient alors cantonnés dans les lieux clandestins de l'avant-garde : à la galerie Jeanne-Bucher, où l'on voyait des Laurens, Léger, Max Ernst, Marcoussis, Reichel, Klee, Miró, De Staël, Domela ou Kandinsky, ce dernier censuré en 1942, ce qui n'empêchait pas la galeriste de continuer à l'exposer mais clandestinement ; à la galerie L'Esquisse, dont les propriétaires étaient résistants et exposaient Domela, Magnelli, De Staël, Kandinsky ; à la galerie de Berri, où l'on voyait des Vantongerloo et les premiers Olivier Debré ; à l'Abbaye, des œuvres de Henri Michaux ; chez Drouin, qui présentait Dubuffet et Fautrier, ce dernier également visible chez Jeanne Castel. Fautrier, réfugié dans la Vallée-aux-Loups, après avoir été inquiété, peignait une série d'Otages informels, otages dont il avait entendu les derniers cris dans la forêt voisine.
Si les transgressions formelles de ces artistes prenaient un sens dans le contexte liberticide de l'Occupation, même les plus déterminés devaient rapidement se rendre compte de la force supérieure de l'occupant. Ainsi, les membres du groupe surréaliste restés en France s'étaient regroupés autour des Réverbères qui tentèrent des actions d'éclat, ils étaient raillés par l'occupant et la presse extrémiste comme illustrant simplement la « décadence » de l'avant-garde. La revue La Main à plume (autour de Jean-François de Chabrun et Gérard de Sède) fut plus efficace, parce que clandestine, à maintenir vivant le souffle de la révolte surréaliste, réunissant des œuvres de Picasso, Dominguez, Ernst, Ubac, Tital, Aline Gagnaire ou Vulliamy.
En matière de résistance « active », le Parti communiste français, mieux structuré depuis l'avant-guerre, chapeautait le Front national des arts (branche du Front national), imprimait le journal clandestin L'Art français (cinq numéros parus) et réalisait l'album militant antivichyste et antinazi Vaincre, sous la direction de Fougeron, qui réunissait les gravures de Pignon, Taslitzky, Goerg, Desnoyer, Montagnac et Walch.
C'est à ce titre que le Parti communiste eut en charge des opérations d'épuration du milieu artistique à la Libération, dirigées essentiellement contre les artistes qui avaient[...]
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Écrit par
- Laurence BERTRAND DORLÉAC : professeure des Universités, enseignante à l'université de Picardie et à l'Institut politique de Paris
Classification
Médias
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