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ART URBAIN

De la mort du tableau à la création in situ

Tendu entre subculture et contre-culture, l'art urbain n'en est pas moins façonné, et ce dès l'origine, par les questions qui travaillent tout l'art du xxe siècle. Son éclosion doit tout à la fois à la crise de la représentation qu'inaugure le modernisme et à la volonté de mettre l'art au service de la révolution. L'idée que la ville puisse être un lieu d'expression artistique émerge en effet avec les avant-gardes. Au tout début du xxe siècle, le futurisme puis le constructivisme voient dans les manifestations de rue, dans la fresque ou l' affiche publicitaire et politique autant de contrepoints à l'asphyxie qui règne dans les musées. L'effervescence créatrice qui entoure la révolution russe en offre un bon exemple : dès 1917, des artistes tels que Rodtchenko ou El Lissitzky tournent le dos à la peinture de chevalet pour embrasser des supports artistiques (au premier rang desquels l'affiche) accordés à l'esprit révolutionnaire, c'est-à-dire destinés à l'édification du peuple et résolument tournés vers la production industrielle. Comme les muralistes au Mexique à la même époque, ils voient dans le changement de régime l'occasion de rompre avec l'expression individuelle et ses circuits commerciaux. D'où leur appétence pour la rue, lieu collectif par excellence, espace de tension sinon de lutte. En mai 1968, les artistes de l'Atelier populaire des beaux-arts à Paris suivront la même voie en imprimant anonymement et collectivement des milliers d'affiches à des fins de propagande insurrectionnelle.

Les années 1960, qui voient naître l'art urbain, sont marquées par la résurgence des débats qui avaient nourri les avant-gardistes autour de la mort de la peinture de chevalet. Quand le land art trouve dans les grands espaces américains un lieu où échapper tout à la fois à la crise de la représentation et à la marchandisation de l'œuvre d'art, certains artistes français voient dans la création en contexte urbain une issue possible au modernisme et à la frilosité des institutions. Si les affichistes, Raymond Hains et Jacques Villeglé en tête, prélèvent dans la rue des affiches lacérées qu'ils marouflent sur toile, d'autres tentent une percée hors des galeries et exposent leurs œuvres directement dans la ville. À partir de 1967, Daniel Buren commence ainsi à couvrir les panneaux publicitaires d'affiches sauvages et fait de ses bandes rayées un moyen de révéler le contexte sémiotique et architectural dans lequel elles se déploient. Cette inversion du rapport de l'œuvre à son lieu d'exposition permet à l'artiste de sortir de l'impasse où l'avait conduit sa volonté d'atteindre le « degré zéro de la peinture » par la réduction a minima de toute forme picturale. En 1971, Ernest Pignon-Ernest commémore le centenaire de la Commune en couvrant le sol de Paris de gisants grandeur nature en papier. Gérard Zlotykamien suit une démarche analogue en traçant à la bombe aérosol ses éphémères, figures fantomatiques où les victimes de la rénovation urbaine se superposent aux morts d'Hiroshima et de la Shoah. Chez ces artistes, travailler in situ permet tout à la fois de déborder le cadre de la toile et de mettre au jour la profondeur historique d'un lieu.

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Médias

Pochoir d'Artiste-ouvrier - crédits : C. Mouly

Pochoir d'Artiste-ouvrier

New York, Graffiti, H. Levitt - crédits : Y. Bresson/ Musée d'art moderne, Saint-Etienne-Métropole

New York, Graffiti, H. Levitt

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Wrinkles of the City à Los Angeles, JR

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    Le dessinateur, peintre, créateur d'événements à travers le monde Ernest Pignon-Ernest est né à Nice en 1942.

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