PÉLÉCHIAN ARTAVAZD (1938- )
Artavazd Péléchian est né en 1938 à Leninakan, ville d’Arménie soviétique qui sera rebaptisée Gumri après l’indépendance de septembre 1991. De 1959 à 1963, il suit une formation technique. Entre 1963 et 1968, il est étudiant au V.G.I.K. (Institut des études cinématographiques), où il réalise ses premiers documentaires : La Patrouille de la montagne (Gornyi patrul, 1964) ; Le Cheval blanc (Belyi Kon, 1965) ; La Terre des hommes (Zemlja Ljudej, 1967) ; Au début (Nacalo, 1967) ; Votre Acte d'héroïsme est éternel (Ih podvig bessmerten, 1968). Il regagne l'Arménie en 1968 et, au studio Armenfilm, réalise son premier film sous sa pleine responsabilité, qui lui vaut un succès d'estime : Nous (My, 1969), et l'année suivante, au studio Belaroussfilm, Les Habitants (Obitatelli). Il collabore ensuite avec d'autres cinéastes (Vartanov, Lev Koulidjanov), avant de signer en 1975 Les Saisons (Vremena goda), abordant le thème souvent utilisé dans le documentaire (chez J. Ivens, H. Storck, G. Rouquier...) des modifications apportées aux paysages et dans la vie des hommes par la succession des saisons. Plus que ses prédécesseurs (qu'il ne connaît sans doute pas), il exalte la vision panthéiste d'une nature changeante en un poème à la fois majestueux et tranquille. Avec ses théories sur le montage « à contrepoint » (reprises en partie des cinéastes soviétiques des années 1920-1930), sur le montage son-image, il se fait peu à peu connaître à l'étranger : Notre Siècle (Nas vek, 1982), dans lequel il apparaît au sommet de son art renforce sa notoriété. Sans paroles, le film commence et se termine sur des images du lancement d'une fusée habitée. Entre-temps, des images, pour la plupart d'engins volants, résument un siècle de fureur et d'audace techniques. On peut interpréter ce poème comme une célébration prométhéenne de l'homme, comme au temps de l'exaltation soviétique du progrès et de la conquête par la science de territoires nouveaux. On peut aussi voir à l'œuvre dans ce film une sorte de folie furieuse, vision quasi écologique qui ne laisserait guère de place à un autre monde, tant la frénésie de conquête semble inscrite dans la nature de l'homme. Cette ambiguïté, qui n'est pas de circonstance (en 1984, personne n'avait plus guère de position claire sur ce sujet en U.R.S.S.), est consubstantielle à l'art d'Artavazd Péléchian et illustre un aspect rare du film documentaire, la méditation poétique (comme chez R. Flaherty ou chez le premier J. Ivens). En 1984 encore, Péléchian tourne pour la télévision ouest-allemande Dieu en Russie (Bog v Rosii, en collaboration avec R. Tsourtsoumi). Durant les années 1990, il donne La Fin (Konec, 1992, sur un voyage en train) ; Vie (Zizn', 1993, sur un accouchement).
Artavazd Péléchian ne propose pas une vision de l'intérieur d'une communauté restreinte comme Frederick Wiseman, ni une réflexion critique comme Marcel Ophüls, ni un regard historique comme Richard Dindo. Son champ à lui, c'est le cosmos, l'humanité, la totalité. Il conte l'épopée de l'homme, de la nature, des forces qui organisent de loin la contingence. Robert Desnos aurait peut-être dit de lui qu'il avait le « sens de l'éternité », qu'il opposait, à propos des documentaires, à « l'esprit vulgaire ». Ses odes, ou symphonies (il représente à lui seul un genre du documentaire), parlent, avec un souffle romantique, de l'homme en symbiose avec la nature. Héritier d'une certaine façon du grand cinéma soviétique de montage (S. M. Eisenstein, D. Vertov), il ne se réclame de l'un ou de l'autre que pour affirmer sa différence.
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Écrit par
- Guy GAUTHIER : écrivain et critique de cinéma, ancien chargé de cours à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot, docteur de troisième cycle, université de Paris-VII-Denis-Diderot
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