ARTE POVERA
Très rapidement adoptée par le monde de l'art, la terminologie Arte povera a été inventée par l'historien et critique Germano Celant à l'occasion d'une exposition organisée à Gênes en septembre 1967, pour désigner l'émergence, en Italie, d'un ensemble de nouvelles pratiques artistiques. « Ceci, écrit Celant en évoquant l'émergence de l'Arte povera, signifie disponibilité et anti-iconographie, introduction d'éléments incomposables et d'images perdues venues du quotidien et de la nature. La matière est agitée d'un séisme et les barrières s'écroulent. » L'Arte povera est une aventure intellectuelle et artistique d'une extrême radicalité, qui s'oppose aux propositions formalistes des grands courants américains de l'époque : pop'art, op'art... Refusant les maniérismes d'une société vouée à la consommation, l'Arte povera privilégie l'instinct, le naturel et l'éphémère. « Vaste champ de convergence » où se retrouvent aussi bien l'ensemble des textes critiques rédigés au cours des années que les œuvres, le groupe de l'Arte povera a évolué au fil du temps, mais il sera historiquement fixé par Celant à douze artistes : Alighiero e Boetti, Giovanni Anselmo, Paolo Calzolari, Luciano Fabro, Jannis Kounellis, Mario et Marisa Merz, Pino Pascali, Giulio Paolini, Giuseppe Penone, Michelangelo Pistoletto et Gilberto Zorio.
Au moment où les artistes liés à l'Arte povera commencent à développer une vision plastique et post-industrielle, le fameux boom économique du miracle italien de l'après-guerre a vécu. Une période de dépression économique s'ouvre, annonçant les rébellions de 1968. Sur le plan artistique spécifique à l'Italie, dès les années 1950-1960, Alberto Burri avait remis en question la pratique traditionnelle de la peinture, tandis que Lucio Fontana et Piero Manzoni avaient déjà posé, chacun à leur manière, la question de l'élargissement possible du champ d'action artistique. Les jalons sont donc posés pour une « tabula rasa », à partir de laquelle les jeunes artistes de l'Arte povera vont pouvoir agir. Analysant la situation artistique de l'époque, Luciano Fabro écrit : « Il y avait l'art informel avec des matériaux très travaillés et une idéologie très précise... Puis est arrivé le pop'art... Nous étions très jeunes et nous voulions faire un art déshabillé de tout cela. »
Rome et Turin : de nouvelles pratiques artistiques
C'est à Turin et à Rome que vont se concrétiser, pour l'essentiel, les conditions esthétiques de l'émergence de l'Arte povera. À Turin, ville la plus industrialisée de toute l'Italie, la galerie Sperone réunit en l966, sous le titre Arte abitabile, les artistes Giovanni Anselmo (1934-2023), Alighiero e Boetti (1940-1994) et Michelangelo Pistoletto (né en 1933). À Rome, la galerie L'Attico programme Spaziodeglielementi. Fuoco, Immagine, Acqua, Terra, où figurent Janis Kounellis (1936-2017), Pino Pascali (1935-1968) et Pistoletto. Dès les années 1965-1966, ces artistes font de l'œuvre le lien d'une action multidirectionnelle et mettent en place un système esthétique qui refuse toute entrave à un déploiement de moyens nouveaux. Mario Merz (1925-2003) intègre à ses œuvres des tubes de néon qui annulent la toile en tant qu'icône. Kounellis oppose une grande marguerite, dont le cœur est une flamme, à l'une de ses toiles. Pistoletto crée la série des Ogetti in meno, où chaque jour voit naître une nouvelle œuvre dont le matériau et la forme sont différents de la précédente. Pascali installe au sol des grands bacs remplis d'eau hors d'atteinte du visiteur. Aucune pratique, aucune formulation artistique ne semblent exclues, y compris celles de type conceptuelle comme c'est le cas[...]
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Écrit par
- Maïten BOUISSET : critique d'art
Classification
Média
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