ARTHAŚĀSTRA (attribué à Kautilya) Fiche de lecture
L'Arthaśāstra constitue le principal traité de l'art politique de l'Inde ancienne. Attribué à Kau.tilya (ce nom passe pour le surnom de Cānakya, le conseiller de l'empereur Candragupta, fondateur de la dynastie Maurya), le texte qui nous est parvenu résulte sans doute d'une compilation à partir de matériaux anciens faite par Vịṣnugupta au iiie ou ive siècle. Ce Traité de l'intérêt est consacré à la poursuite de l'artha, celle des moyens mondains que l'on doit mettre en œuvre pour gagner puissance et richesse. L'artha concerne donc au premier chef le roi, dans la mesure où celui-ci a vocation à garantir la paix et le bien-être de son royaume, reposant sur la libre jouissance par chacun de ses biens (yogak.sema). En lieu et place d'un traité de philosophie politique s'interrogeant, à la manière occidentale, sur la genèse, la nature et les fondements de la communauté politique, sur la légitimité du pouvoir et sur la meilleure forme de gouvernement, l'œuvre se présente comme un « manuel » inventoriant, sur un mode purement prescriptif, les lignes de conduite (nīti) requises pour réaliser les objectifs du roi. L'ouvrage comprend quinze livres dont les cinq premiers sont consacrés à la politique intérieure et les dix autres à la diplomatie et à la stratégie.
Une science des moyens
Exempt de toute considération de principes moraux ou religieux, ce traité affirme la primauté de l'artha, lequel est posé non seulement comme étant la condition de possibilité des observances socio-religieuses (dharma), mais encore comme devant l'emporter sur elles. Il postule que les fins spécifiques du pouvoir sont politiques et économiques, le but suprême étant le salut du royaume par l'adéquation des moyens aux fins en évitant les effets pervers. Cet art de gouverner, étrangement moderne, prône une politique systématique de maximisation de la puissance politique. Dès lors que la spécificité du champ économico-politique se voit pleinement reconnue, les objectifs du roi ressortissent à un mixte de richesse et de puissance politique. Le roi est par définition un « homme désireux de conquérir » (vijigī.su). Aussi doit-il rechercher systématiquement les moyens de la puissance politique pour se procurer les richesses nécessaires à des conquêtes infinies.
L'ouvrage développe une analyse beaucoup plus approfondie qu'en Occident des éléments constitutifs de la puissance royale, selon sept facteurs de puissance, organiquement interdépendants : 1. le souverain (svāmī) ; 2. les officiers du royaume et les fonctionnaires (amātya) ; 3. le territoire et la population (janapada), c'est-à-dire le pays avec ses habitants ; 4. les forteresses (durga) avec la ville fortifiée centrale ; 5. le Trésor (kośa), c'est-à-dire les finances publiques ; 6. la force coercitive (da.n.da), c'est-à-dire l'armée ; 7. l'allié extérieur héréditaire (mitra).
La principale fonction assignée au roi en tant que bras séculier du Dharma est l'exercice de l'autorité coercitive, autrement dit l'art de dispenser adéquatement les châtiments (ni trop ni trop peu), faute de quoi la société serait menacée de faire retour à l'entremangerie universelle régissant l'état de nature, conformément à la « loi des poissons » – matsya-nyāya, qui veut que « les gros poissons mangent les petits » –, principe qui est l'équivalent du homo homini lupus selon Hobbes.
Dans ces conditions, le pouvoir s'efforce d'être autocratique : l'opportunisme politique n'ayant rien à voir avec les prescriptions religieuses, la politique mise en œuvre confine à la Realpolitik et elle n'hésite pas à recourir à des procédés dignes de Machiavel (mensonge, propagande, manipulation). Cette royauté despotique est censée reposer sur un[...]
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Écrit par
- François CHENET : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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