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ARTHAŚĀSTRA (attribué à Kautilya) Fiche de lecture

Influence de l'œuvre

Si cet art de gouverner très élaboré apparaît d'une originalité remarquable au regard de nos critères, ce royaume idéal de consonance étrangement moderne correspond-il pour autant à la réalité historique des États indiens ? L'Empire Maurya, dans le bassin moyen du Gange, s'était certes doté d'une administration bureaucratique très organisée, qui contrôlait toute la vie économique, et il a certes existé un service de renseignements particulièrement efficace, qui fonctionnait de haut en bas de l'échelle sociale, du conseiller du roi jusqu'aux classes les plus pauvres.

Il n'en demeure pas moins que le tableau du royaume idéal brossé par Kau.tilya correspond en fait assez peu à la réalité matérielle des royaumes indiens telle que l'histoire nous la donne à connaître. Un tel royaume centralisé avec son régime autocratique a notamment besoin d'un soutien idéologique continûment apporté par une catégorie ou une classe sociale autre que le roi et la noblesse royale (k.satriya). Or le fait est que la caste des brahmanes, même lorsqu'il arriva à ces derniers de servir sous divers rois, ne fut jamais structurée et organisée en vue d'apporter un soutien organique à un tel pouvoir centralisé et qu'elle continua, d'une manière générale, d'adhérer massivement à l'idéologie classique selon laquelle c'est au Dharma ou Ordre socio-cosmique qu'il revient de régner, « le Dharma protégeant le roi seulement si ce dernier le protège ». C'est ainsi que l'idéologie de Kau.tilya finit par dépérir dans ses aspects essentiels, ceux qui touchent à l'existence d'un empire centralisé, bien que certains de ses principes relatifs à l'administration de base aient été préservés et appliqués au sein de petits royaumes. Mais il n'y a jamais eu en Inde de bureaucratie lourde, structurée et proliférante à la manière de ce qui se passa en Chine. Par une sorte d'ironie dont l'histoire est coutumière, c'est précisément en Chine que le royaume idéal tel que décrit par Kau.tilya s'est trouvé réalisé dès lors que les empereurs Han surent soumettre les anciens féodaux et les enrôler au sein d'une nouvelle aristocratie de lettrés fonctionnaires qu'ils allaient contrôler étroitement, celle des mandarins. Cette « bureaucratie céleste », adhérant à la même idéologie confucianiste, devait apporter son soutien organique au régime hiérocratique gouvernant l'empire centralisé.

— François CHENET

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