ARTHAŚĀSTRA
La doctrine de l'« Arthaśāstra »
L'Arthaśāstra est formé de quinze livres très inégalement divisés en cent cinquante chapitres (un seul chapitre dans le livre XI, trente-six dans le livre II). Entre le livre Ier, traitant de la personne du roi, de son éducation et de la façon dont il doit constituer son entourage immédiat, et le livre XV, qui est une table des trente-deux modes de raisonnement et d'exposition (yukti) utilisés dans l'ouvrage, les livres centraux se laissent grouper en deux séries : de II à V, la politique intérieure ; de VII à XIV, la politique extérieure, le livre VI formant transition. Cette division correspond, avec une inversion dans l'ordre des termes, au double objectif que l'auteur assigne au roi : s'emparer de la terre, et savoir garder et faire prospérer ce que l'on a acquis. Tel est le sujet des traités dont l'Arthaśāstra prétend apporter la synthèse critique. La terre, et plus précisément la terre peuplée d'hommes. La terre est ce que vise le roi car elle est la subsistance des hommes. Pour régner sur les hommes, ce qui est l'objet de la politique, il faut être le maître de la terre. Quelle terre ? En principe, la terre entière : le roi de l'Arthaśāstra est toujours désigné comme le vijigīṣu, « celui qui veut conquérir » ; nulle frontière naturelle ou historique ne vient le borner. En fait, il s'agit d'une terre qui coïncide avec un monde indien dont la définition est moins géographique que sociale : c'est l'espace où résident les hommes groupés en varṇa (« classes ») et āśrama (genres de vie propres à chaque âge), selon les règles du dharma ; cet espace est augmenté de celui où ce type d'organisation peut, sans trop d'artifice ni de violence, être implanté par colonisation. Mais il n'est pas question de conquête outre-mer, bien que l'Arthaśāstra connaisse le commerce maritime.
Le vijigīṣu a deux sortes de partenaires, adversaires ou alliés potentiels : d'une part, des rois très semblables à ce qu'il est lui-même, d'autre part, des peuples de la forêt, qu'il s'agit toujours de pacifier ou d'utiliser comme auxiliaires dans le combat contre les autres rois. Disposés autour du vijigīṣu, les États voisins forment une série de cercles concentriques : ceux qui sont contigus au vijigīṣu sont par principe ses ennemis ; au-delà sont les ennemis de l'ennemi, donc les amis ; puis les ennemis des amis, etc. Ce schéma simple du « cercle des rois » (rājamaṇḍala) se complique par le fait que, premièrement, il existe des États excentrés placés de telle sorte qu'ils peuvent devenir aussi bien les amis que les ennemis du vijigīṣu ; que, en deuxième lieu, le rôle des États amis ou ennemis n'est pas le même suivant qu'ils sont « devant » ou « derrière » le vijigīṣu, car il semble que son royaume soit orienté pour ainsi dire ; que, troisièmement, la capacité des États d'être des partenaires principaux ou secondaires est déterminée par leur force, laquelle est variable suivant les circonstances. Prévoir et analyser toutes ces possibilités, c'est en cela que consiste la science de la politique étrangère. Dans ses rapports avec ses partenaires, le roi doit choisir entre six lignes de conduite : conclure une paix, faire la guerre, se tenir coi, accumuler des forces en vue de la guerre, chercher la protection d'un tiers, mener un double jeu. La guerre, effective ou larvée, met en œuvre des forces armées dont l'organisation et les modes d'action (mouvements, sièges) sont décrits en détail. Mais le roi compte aussi sur une foule immense d'espions (professionnels ou occasionnels) et d'agents provocateurs qui lui font connaître les points faibles de l'adversaire, répandent des fausses nouvelles, assassinent et l'aident à susciter révoltes et défections.[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Charles MALAMOUD : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)
Classification
Autres références
-
ARTHAŚĀSTRA (attribué à Kautilya) - Fiche de lecture
- Écrit par François CHENET
- 1 506 mots
L'Arthaśāstra constitue le principal traité de l'art politique de l'Inde ancienne. Attribué à Kau.tilya (ce nom passe pour le surnom de Cānakya, le conseiller de l'empereur Candragupta, fondateur de la dynastie Maurya), le texte qui nous est parvenu résulte sans doute d'une compilation...
-
INDE (Le territoire et les hommes) - Histoire
- Écrit par Encyclopædia Universalis , Christophe JAFFRELOT et Jacques POUCHEPADASS
- 22 936 mots
- 25 médias
...presque entier à un pouvoir unique. L'empire, administré directement dans sa partie centrale, n'est pour le reste qu'une fédération de tributaires. L' Arthaśāstra et la relation du Grec Mégasthène jettent des lumières sur son organisation. De Pātaliputra – prestigieuse capitale baignée par le Gange... -
KĀMA
- Écrit par Charles MALAMOUD
- 4 132 mots
- 2 médias
...Bhavabhūti qui fut un des poètes de la cour du roi de Kanauj, Yaśovarman, aux environs de 740. Nous pouvons affirmer, d'autre part, qu'il est postérieur à l' Arthaśāstra de Kauṭilya, auquel il emprunte beaucoup de traits de contenu et de structure. (Mais comme la date de l'Arthaśāstra est elle-même... -
LOGIQUE INDIENNE
- Écrit par Kuno LORENZ
- 6 569 mots
...la théorie du raisonnement est « ānvīkṣikī » ; il apparaît vers 300 avant J.-C. dans un célèbre traité d'économie, de politique et d'administration, l' Arthásāstra de Kauṭilya, où il sert de caractéristique commune aux écoles rationnelles de l'époque : Sāṁkhya, Yoga et Lokāyata, pour... -
PAÑCHATANTRA ou PAÑCATANTRA
- Écrit par Jean VARENNE
- 836 mots
Depuis les temps les plus archaïques, contes et fables tiennent une place importante dans les diverses littératures indiennes. C'est que l'apologue, la parabole, la comparaison jouissent dans la tradition de l'Inde d'une plus grande faveur que la démonstration. On a donc toujours affaire à des...