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HONEGGER ARTHUR (1892-1955)

Une dualité créatrice

Pacific 231 - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Pacific 231

Sa dualité fondamentale agissant, la célébrité lui vint en fait de deux œuvres complètement différentes : Le Roi David où Honegger réalisait pour la première fois son idéal d'une musique à la fois populaire et savante, dans la coulée de Bach, et puis, le premier de ses Trois Mouvements symphoniques, Pacific 231 (1923) dont la structure, entièrement issue d'une unique cellule initiale, et l'écriture harmonique, fortement bardée de frottements polytonaux, voire atonaux, jetaient leurs phares loin dans l'avenir, et jusqu'aux jours où, après 1945, Honegger devait, comme un grand frère, encourager les premiers pas de Pierre Boulez et par là même de toute la jeune musique française.

Cette dualité se maintient durant l'entre-deux-guerres : dans les opéras Judith (1926) et Antigone (1927), le premier d'écriture violente et barbare, tributaire de l'expressionnisme allemand, l'autre sévère et dépouillé, mais montrant une fois de plus le chemin du futur, œuvre préférée de l'auteur. De même Jeanne d'Arc au bûcher (1935), qui sous sa forme d'oratorio scénique relança la renommée du musicien après la guerre, et La Danse des morts (1940), tous deux inspirés de Claudel ; le premier, une fois encore « savant et populaire », le second au lyrisme entrecoupé de virulence sonore et harmonique. Enfin, dernier exemple de ce dualisme, d'un côté la Deuxième Symphonie (1941) et la Troisième (1945-1946), de l'autre la Quatrième (1946) laissent l'impression de deux compositeurs différents. La Deuxième, pour cordes avec trompette ad libitum pour seize mesures à la fin, a été composée pour Paul Sacher à Bâle, en pleine tragédie de la guerre, et elle en reflète, dans un style expressionniste, tout le caractère implacable ; la Troisième, intitulée Liturgique, également inspirée par la guerre, immense prière de la créature au Dieu tour à tour vengeur et miséricordieux, participe d'un même style et d'une même écriture. La Quatrième, au contraire, Deliciae Basilienses, composée pour Sacher et sa ville de Bâle, est un souffle de paix, de charme, d'harmonie et de suavité qui vient, cette fois, d'un Paris point tellement éloigné de celui d'un Francis Poulenc. Et c'est tout de suite après qu'intervient la longue coupure de la maladie avec la menace permanente de la mort. La voie est ouverte au dépouillement, à la concentration définitive, à un retour à la simplicité d'écriture du Roi David, mais, cette fois, dans la nuit de l'accablement. Le cri vers Dieu vient encore de Bach, mais d'un Bach sans espoir, et l'écriture dans la Cinquième Symphonie (1950) se fait humble, claire, dans la tradition du meilleur Couperin, jusqu'à ces fins pianissimo des trois mouvements sur trois graves et assourdis de la timbale et des contrebasses, d'où, simplement, le titre Di tre re.

Après la mort de Honegger, sa voix devait assez brutalement retourner au silence presque complet, et c'est avec dédain que les jeunes générations considéraient son œuvre. De quoi ne fut-il accusé ! On lui en voulait de ne jamais avoir voulu être un « révolutionnaire », et, la veille de sa mort, certaines de ses déclarations très pessimistes sur l'avenir, ou plutôt sur le non-avenir de la musique, ne devaient, certes, pas arranger les choses. Le temps fera oublier certaines pages où, trop volontairement, Honegger tournait le dos à l'évolution nécessaire, qu'il avait pourtant laissé prévoir lui-même avec son Antigone (1927) ; le temps fera aussi renaître les autres, celles où cet artiste très humain laissait parler, tour à tour, les « deux âmes » que, tel Faust, il portait en lui.

— Antoine GOLÉA

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