MILLER ARTHUR (1915-2005)
Arthur Miller avait coutume de clore ses entretiens par un souriant et modeste : « Je crois que j'ai écrit de beaux rôles. » Comédiens et metteurs en scène ne sauraient le démentir, tant le public de par le monde – de Broadway à Pékin, de Paris à Rome et Londres – a chaleureusement applaudi ses personnages tourmentés, prêts à sacrifier leur vie pour sauvegarder leur dignité personnelle – aussi bien Willy Loman, le commis-voyageur, que John Proctor, le fermier de Salem, Eddie Carbone, le débardeur de Brooklyn, ou Sylvia Gellburg, gagnée par la paralysie à la veille de l'Holocauste. Arthur Miller postule en effet que tout homme, fût-il d'humble origine, peut prétendre à l'étoffe d'un héros, ce qui l'amène à se définir à la fois comme observateur critique du rêve américain et auteur tragique. Une posture très singulière dans le théâtre des États-Unis.
Avant de s'éteindre à quatre-vingt-neuf ans dans sa vaste propriété de Roxbury au cœur du Litchfield County (Connecticut), le 10 février 2005, Arthur Miller a habité son siècle avec force et lucidité, maniant « l'art comme une arme à seule fin d'humaniser l'homme ». Une lucidité combative doublée d'une intégrité ombrageuse qui l'amènera notamment à comparaître en 1956, sous la férule du sénateur Mac Carthy, devant la commission d'enquête sur les activités anti-américaines, où sa conduite est exemplaire, à défendre hardiment ses collègues écrivains bâillonnés en Europe de l'Est et ailleurs lorsqu'il présidera le Pen Club international de 1965 à 1969, ou encore lorsqu'il soutiendra un candidat à l'investiture démocrate tel que McGovern, en 1972. Une force puisée dans une vie riche de rencontres, d'événements et de voyages.
Un moraliste
Né le 17 octobre 1915 aux franges de Harlem, Arthur Miller connaît une enfance heureuse dans une famille aisée de drapiers-tailleurs ; on va à la synagogue de la 114e rue, et tout est sérénité jusqu'en 1929, lorsque la famille ruinée doit déménager à Brooklyn. Pour payer ses études, le jeune Arthur trouve de petits emplois, dont l'un dans une usine de pièces détachées pour automobiles, qui servira de toile de fond à Je me souviens de deux lundis (A Memory of Two Mondays, 1955). Étudiant à l'université du Michigan de 1934 à 1938, il commence à écrire pour le théâtre avec succès, et sort de Ann Arbor avec un diplôme de journaliste qui lui permet d'être recruté par le Federal Theatre Project à 23 dollars par semaine, tout en refusant l'offre à 250 dollars de la Twentieth Century Fox. Le choix du jeune homme est révélateur de son goût pour la liberté, en prise avec les « années ferventes » : un passage dans les ateliers de la Marine lui donne le matériau pour le script de L'Histoire du soldat Joe (The Story of GI Joe), puis pour un reportage radio sur l'entraînement des troupes qu'il intitule Situation Normal (1944). Il préfère le théâtre, qui le lui rend bien. Malgré un premier insuccès en 1946 (The Man Who Had All the Luck), il connaît dès l'année suivante une série de triomphes assortis de prix littéraires prestigieux. C'est l'époque de ses pièces majeures, intemporelles, véritables classiques du théâtre américain : Ils étaient tous mes fils (All My Sons, 1947), La Mort d'un commis-voyageur (Death of a Salesman,1949), Les Sorcières de Salem (The Crucible, 1955) et Vu du pont (A View from the Bridge, 1955). Les rôles s'arrachent, aux États-Unis comme en Europe, toujours servis par de grands interprètes ; citons à Paris Simone Signoret et Yves Montand dans Les Sorcières de Salem, Raf Vallone et Lila Kedrova dans Vu du pont, tandis que François Périer sera le commis-voyageur et Claude Dauphin le Salomon du Prix. Ailleurs, Alec Guinness, Vanessa Redgrave,[...]
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Écrit par
- Liliane KERJAN : professeure des Universités
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