MILLER ARTHUR (1915-2005)
Le désespoir surmonté
Par ailleurs, la vie privée d'Arthur Miller, qui considère que « l'homme et la femme sont toujours en conflit, le pire c'est la victoire de l'un ou l'autre », a également alimenté son œuvre au même titre que la cellule familiale originelle. Ses trois mariages, d'abord avec sa condisciple de l'université du Michigan, Mary Slattery, de 1940 à 1956, puis avec Marilyn Monroe, de 1956 à 1961 – pour qui il écrit le scénario des Misfits (Les Désaxés), tourné en 1961 par John Huston avec Clark Gable et Montgomery Clift, union qui lui fournira de surcroît l'argument d'Après la chute (After the Fall, 1964) –, et enfin avec la photographe de chez Magnum, Inge Morath, de 1962 à sa mort en 2002, ont enrichi les figures de femmes qui hantent des pièces graduellement plus intimes, plus sobres et plus brèves. Il en va ainsi de la double affiche Two-Way Mirror (Elegy for a Lady, Some Kind of Love Story, 1982), de Clara et Je ne me souviens de rien, réunies sous le titre Danger : Memory ! en 1986, ainsi que de la pièce en un acte The Last Yankee, donnée « off-Broadway » en 1993, qui, sous la détresse psychique de Patricia, mariée à un pâle descendant du grand Alexander Hamilton, dessine l'entropie américaine. Arthur Miller tire sa révérence avec Resurrection Blues, montée en 2002 à Minneapolis.
L'œuvre intégrale de cet auteur prolifique, est considérable : dix-sept pièces pour le théâtre, une adaptation d'Ibsen (L'Ennemi du peuple [An Enemy of the People, 1951]), deux scripts pour le cinéma (The Misfits et Chacun sa chance [Everybody Wins], 1990), des nouvelles (I Don't Need You Anymore, 1967), une comédie musicale (Up from Paradise, 1974), deux romans (Focus, 1945, et Une fille quelconque [Plain Girl, 1995]), un conte pour enfants, des pièces radiophoniques, des préfaces, des articles et essais (Echoes down the Corridor. Collected Essays 1944-2000, 2000), des récits de voyages, notamment en Russie et en Chine, où il se rend respectivement en 1965 et en 1978. Une longue autobiographie, foisonnante et vagabonde, éclaire son parcours jusqu'en 1987 (Timebends/Au fil du temps). Un parcours marqué aussi par l'amitié : celle de son voisin le sculpteur Calder, mais encore celle de Paul Newman, Pablo Neruda, John Steinbeck, Saul Bellow, Raymond Carver. En dépit de cet éclectisme, Arthur Miller a toujours considéré que « la scène est le lieu par excellence pour camper idées et philosophies, pour débattre de la manière la plus intense du destin de l'homme ». Il est certain que sa « rigueur de rabbin » a marqué le théâtre de manière durable. Si ses tragédies de l'homme ordinaire appartiennent au répertoire classique américain, elles résonnent bien au-delà, en Europe d'abord – c'est à Londres qu'a lieu la première de The Ride Down Mount Morgan en 1991 –, mais aussi en Chine où l'énorme succès de La Mort d'un commis-voyageur, à Pékin en 1983, et des Sorcières de Salem, à Shanghai, a montré l'universalité de cette écriture de la désillusion et de la souffrance, l'adhésion à une capacité du refus, en même temps que la validité de sa conception de la tragédie comme « expression de triomphe lorsqu'on surmonte le désespoir ». Intellectuel engagé, marqué par la Dépression, trame de The American Clock (1980), par le communisme, par l'horreur nazie – il assiste au procès d'Auschwitz et s'inspire de la vie d'une musicienne juive du camp dans Playing for Time (1980) –, Arthur Miller écrit un théâtre profondément humain, souvent centré sur les dilemmes d'une famille. Un théâtre de la passion soutenu par une prose vibrante et sérieuse, toujours accessible, qui bénéficie de reprises régulières et reste éminemment populaire. « Quand je vois, dit-il, le public captivé comme la[...]
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Écrit par
- Liliane KERJAN : professeure des Universités
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