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RIMBAUD ARTHUR (1854-1891)

Une aventure vraie ?

La suite de la vie de l'ancien « voyant » ne laisse plus de place aux effets de l'art – qu'il semble avoir définitivement abandonnés. Il veut être précepteur, ingénieur ; le commerce et les sciences l'attirent, comme si la modernité se confondait avec ces activités. En mars 1875, à Stuttgart où il étudie la langue allemande, il revoit pour la dernière fois Verlaine venu là tout exprès. C'est au cours de ces retrouvailles qu'auraient été communiqués certains feuillets des Illuminations, à charge pour le « pauvre Lélian » (Verlaine) de les transmettre à Nouveau qui les aurait fait imprimer ! Nous devons nous contenter de ces vagues informations. La même année, vagabondant en Italie avec l'intention d'aller jusqu'à Brindisi et de s'embarquer pour la Grèce, Rimbaud, accueilli à Milan chez une veuve molto civile, éprouve encore le besoin de demander à son ami Ernest Delahaye Une saison en enfer. Dans quel dessein ? On l'ignore. Les années ultérieures seront marquées par de perpétuels déplacements – Vienne, Java, Stockholm, Chypre... – qu'il serait vain de rappeler si l'on ne devait penser qu'ils forment un véritable supplément à son odyssée spirituelle. On s'expliquerait mal sinon ce constant désir d'aller plus loin, comme si l'horizon géographique sans cesse repoussé devait livrer un secret, résoudre l'énigme de sa vie.

À partir de 1880, Rimbaud rayonne dans le même espace – fort vaste il est vrai : Aden, les ports de la mer Rouge, Harar, l'Abyssinie. Mais d'autres noms brillent à sa pensée : Zanzibar, le canal de Panamá et même le Japon. Il va bientôt gagner la ville de Harar (dans la corne orientale de l'Afrique) qui semble au fil des années lui avoir offert le havre le plus supportable. Agent d'un comptoir, il mène une vie presque ascétique. Ses lettres trahissent le sentiment d'une fatalité, d'un destin négatif qu'il doit suivre jusqu'au bout, coûte que coûte, subissant la loi du travail, attaché à l'or et misérablement ébloui par la perspective d'un lointain repos qu'il sait trop bien se confondre avec la mort. Parfois, ce Rimbaud perdu prend les dimensions d'un véritable aventurier, reconnaissant de nouveaux territoires (l'Ogadine ou, plus tard, la route d'Ankober à Harar), ou bien se lançant dans des expéditions au long cours comme celle qu'il tente en 1886 pour, depuis Tadjourah, livrer à Ménélik, roi du Choa, plusieurs milliers de vieux fusils. Lors d'un court séjour au Caire où il se repose, il confie au Bosphore égyptien le récit de son dernier voyage (publié les 25 et 27 août 1887) ; il n'a donc pas renoncé à une certaine forme d'écriture, celle du journalisme qui le requérait déjà dans sa jeunesse. C'est à ce moment qu'il s'informe pour envoyer des articles au Temps, au Figaro, voire au Courrier des Ardennes. Il y renoncera cependant. Le sarcasme est désormais sa façon d'être, et c'est sans doute avec une telle expression qu'il accueillera la lettre que lui adresse, en juillet 1890, un certain Laurent de Gavoty pour lui apprendre sa récente renommée et lui demander de collaborer à La France moderne, petite revue marseillaise d'avant-garde.

Cependant, un mal étrange le frappe. Une grosseur au genou le fait souffrir à crier. Il doit tout quitter. À Aden, le diagnostic médical des plus alarmants le force à revenir en France. Puis c'est l'amputation de la jambe droite à Marseille, la remontée, comme une fuite nouvelle, à Roche, un ultime mois de campagne française vécu sous un ciel pluvieux, enfin la redescente à Marseille, affolée, comme pour embarquer à tout prix, avant qu'il ne soit trop tard. Atteint d'un cancer généralisé, Rimbaud entre à l'hôpital Saint-Jean. Il attend d'y mourir. Délirant,[...]

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Écrit par

  • : agrégé de lettres classiques, docteur d'État, université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, professeur de littérature française à l'université de Nantes

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Arthur Rimbaud, É. Carjat - crédits : Bettmann/ Getty Images

Arthur Rimbaud, É. Carjat

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