RUBINSTEIN ARTHUR (1887-1982)
Un génie complaisant
Qui d'autre, mieux qu'Arthur Rubinstein lui-même, pourrait résumer quatre-vingt-quatre ans de carrière musicale ? « La claire conception des structures d'une composition et l'osmose totale avec les intentions émotives du compositeur ne me posaient jamais de problèmes ; mais, à cause de mes habitudes de paresse, je négligeais de m'intéresser au détail comme au fini et à la précision dans l'exécution des passages difficiles que j'avais horreur de travailler. Je faisais porter tout le poids sur le message intérieur. » Avec une naïve franchise, il met en évidence les éléments qui ont fait de lui l'une des personnalités les plus fêtées de l'estrade mais aussi l'une des plus contestées par la critique. Cette dernière, en effet, ne lui a guère épargné ses flèches, le plus souvent à juste titre, le plus souvent aussi en vain. Et il s'agit moins ici de fausses notes, reflets attardés d'une certaine époque, que de coquetteries de style peu pardonnables, d'effets extérieurs complaisants, de trop fréquentes approximations techniques, d'une rigueur de jeu toute relative, du moins pendant son premier demi-siècle.
Si l'on se penche sur l'héritage discographique d'un interprète infiniment plus à l'aise au concert qu'en studio, force est de reconnaître que son jeu est souvent inégal. Parmi des prestations d'un intérêt tout relatif figurent quelques pépites qui expliquent le charme puissant sous lequel Rubinstein a souvent tenu le public. Tout d'abord, son compositeur d'élection, Chopin, dont il traduit la poésie avec une simplicité et un naturel que bien peu ont pu égaler : les Polonaises (1934), les Mazurkas (1966) et les Nocturnes (par deux fois, en 1936-1937 et en 1966). En compagnie de Jascha Heifetz et d'Emanuel Feuermann – Trio en si bémol de Schubert (1941), Trio opus 8 de Brahms (1941), Sonate pour violon et piano de Franck, 1937) –, du Quatuor Pro Arte – Quatuor no 1 pour piano et cordes de Brahms (1932) –, de Paul Kochanski – Sonate pour violon et piano no 3 de Brahms (1932) –, ou de Gregor Piatigorsky – Sonate pour violoncelle et piano no 1 de Brahms (1936) –, il nous laisse d'incomparables leçons de musique de chambre. Au goût de chacun de choisir entre l'amateurisme parfois génial de sa jeunesse et, malgré le déclin de ses moyens physiques, la sereine maîtrise de la fin de sa vie. Ses dons auraient certainement pu le placer au tout premier rang des musiciens de son temps. Quels que soient les regrets de sa vieillesse, Arthur Rubinstein aura préféré vivre. Tout simplement.
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Écrit par
- Pierre BRETON : musicographe
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Média
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