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SCHNITZLER ARTHUR (1862-1931)

Une éducation sentimentale

Vienne : le Graben - crédits : Culture Club/ Getty Images

Vienne : le Graben

Le roman Vienne au Crépuscule (Der Weg ins Freie) est l'œuvre de Schnitzler la plus conforme au modèle européen du grand « roman de société ». Commencé dans l'été 1902, publié en 1908, ce succès de librairie présente une des fresques les plus suggestives de la métropole habsbourgeoise à l'époque de la « modernité viennoise ». L'éducation sentimentale du jeune aristocrate Georg von Wergenthin, type de l'esthète prisonnier de son narcissisme qui ne parvient ni dans ses relations amoureuses ni dans sa vie sociale à sortir de lui-même, sert de fil conducteur. Dans ce roman, élargissant la thématique de son drame Le Professeur Bernhardi (1912) qui montrait les ravages de l'antisémitisme dans le milieu médical, Schnitzler fait le tableau le plus complet qu'il ait jamais tenté de la société des Juifs assimilés de la Belle Époque viennoise. On ne pouvait plus être juif sans subir une plus ou moins grave « crise d'identité », suggère Schnitzler, tant l'antisémitisme s'était répandu et tant les stratégies de « réinvention » de la judéité étaient diverses. Certains personnages se déclarent complètement assimilés et déjudaïsés, tandis que d'autres sont d'ardents sionistes, des militants socialistes ou des êtres tourmentés par la « haine de soi juive ».

La bureaucratie et le cléricalisme habsbourgeois, peints avec férocité dans Le Professeur Bernhardi (1912), une pièce qui évoque une affaire Dreyfus transposée dans le milieu médical viennois, n'étaient pas remontés dans l'estime de Schnitzler depuis le début de la Première Guerre mondiale. Les derniers mois de la Grande Guerre, l'écrivain les avaient consacrés à fuir hors du temps présent pour revenir au xviiie siècle de Casanova : la nouvelle Le Retour de Casanova, un chef-d'œuvre, et la pièce Les Sœurs, ou Casanova à Spa sont achevés en 1918 et 1919. Schnitzler, tourné vers le passé, semblait aborder l'après-guerre à reculons.

Au reproche qui lui était souvent fait, dans les années 1920, de s'obstiner à représenter le monde d'avant la guerre, au lieu de se tourner vers le présent, Schnitzler pouvait à bon droit répondre, dans une lettre de novembre 1924 à Jakob Wassermann qui avait déclaré à propos de Mademoiselle Else (1924) qu'il retrouvait dans cette nouvelle en forme de monologue intérieur un « monde fini, périmé, condamné à mort » : « Autrefois, ce n'était pas une grande époque et le monde prétendument englouti et périmé est aussi vivant et présent que toujours. Dans les individus ne s'est pas produite la moindre modification, il ne s'est produit rien d'autre que la disparition de certaines inhibitions, de sorte que toutes sortes de filouteries et de scélératesses peuvent être perpétrées avec des risques moins grands que naguère ».

L'œuvre narrative et le théâtre de Schnitzler, toujours appréciés par un large public et diffusés en traduction dans le monde entier, expriment avec une force exceptionnelle l'esprit autrichien de la Belle Époque et constituent un des lieux de mémoire les plus fascinants de la modernité viennoise.

— Jacques LE RIDER

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Arthur Schnitzler - crédits : Culture Club/ Getty Images

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