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EDDINGTON ARTHUR STANLEY (1882-1944)

Le système eddingtonien

La philosophie d'Eddington, sous des apparences assez déconcertantes et à travers une présentation peu systématique, s'ordonne entre deux pôles : une réflexion sur la science contemporaine et les importants changements de perspective qu'elle impose par rapport à la science classique ; une exigence éthique, la défense de valeurs spirituelles et religieuses menacées par le déterminisme matérialiste, auquel les succès de la science classique paraissaient assurer une base scientifique inébranlable.

L'idée directrice de l'épistémologie eddingtonienne, formée par la pratique de la théorie de la relativité, confirmée, après d'assez longues hésitations, par le développement des théories quantiques, concerne la vraie nature du savoir physique, qui n'est pas celui de la réalité naturelle elle-même, mais celui de la structure mathématique qui permet d'appréhender les propriétés géométriques et métriques de l'univers matériel ; il y a donc un élément irréductiblement « subjectif » dans la science physique ; c'est pourquoi Eddington appelle lui-même sa doctrine « subjectivisme sélectif », l'intervention de la grille formelle imposant nécessairement une sélection des données empiriques formant le contenu de la science. Philosophe spiritualiste, Eddington ne professe pourtant pas une philosophie idéaliste au sens fort du terme. Car quelque chose de la réalité naturelle elle-même est accessible à la connaissance humaine, à travers le savoir fondamental et structural de la physique, qui ne recouvre pas la totalité des connaissances, pas même à l'intérieur de la science. À la différence de Kant, Eddington ne défend pas une théorie idéaliste de l'espace et du temps : le devenir, la « flèche du temps », échappe à la théorie structurale, et la physique elle-même est obligée d'introduire un principe supplémentaire pour intégrer dans le système de ses lois cette propriété non structurale, réelle, de la nature. Et ce n'est pas la seule propriété réelle des choses que la science est amenée à reconnaître et à ordonner en des lois « secondaires » qui n'ont pas le caractère nécessaire et « primaire » des lois fondamentales.

Dans cette voie, après divers tâtonnements, Eddington invente une réponse originale à la question philosophique probablement la plus importante pour lui : qu'est-ce qui atteste la réalité irréductible de l'être pensant, la présence indiscutable de l'esprit dans le monde ? Qu'est-ce qui, corrélativement, prouve, malgré les prétentions déterministes de la science, l'authenticité du libre arbitre ? Certes, il arrive qu'Eddington évoque très traditionnellement le témoignage de la conscience, sans laquelle, dit-il parfois, aucun des mondes possibles n'aurait l'actualité ; mais l'évolution de la science lui fournit une autre réponse. Dès 1927, il s'était rallié à la thèse nouvelle de l'indéterminisme et il songea bientôt à en tirer parti en faveur du libre arbitre, mais il ne tarda pas à comprendre que l'on ne peut guère insérer la liberté humaine dans la marge d'indétermination qu'impliquent les conditions quantiques dans les phénomènes du niveau subatomique. Il s'efforça donc d'élaborer une doctrine plus subtile : l'indéterminisme signifiant en fait que les lois fondamentales sont de nature statistique, il en résulte que la notion de probabilité est conçue « objectivement » comme une fréquence ; une hypothèse de probabilité sur une classe d'événements pose alors quelque degré de corrélation – ou, à la limite, l'absence de toute corrélation – entre les événements de cette classe ; mais de telles corrélations sont des données objectives, contingentes, qui n'appartiennent pas au cadre structural de la science ; les progrès de la physique ont montré qu'au niveau de la matière élémentaire[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de philosophie, docteur ès lettres, professeur d'épistémologie à l'université de Paris-X-Nanterre

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