ARTISANAT DU BRONZE (Gaule préromaine)
Une technique moderne pour comprendre une technique antique
Pour élucider le mystère de la fabrication des torques torsadés, une étude métallographique a été menée au Laboratoire de recherche des musées de France sur une sélection d'objets provenant de la vallée de l'Aisne . La métallographie est la seule méthode fiable pour déterminer si un alliage est brut de fonderie ou s'il a été travaillé en déformation. Elle consiste à opérer une coupe dans l'objet puis à en observer la structure interne à l'aide d'une loupe binoculaire, par exemple. Ces observations ont montré que les torques de l'Aisne ne sortaient pas d'un moule, mais que leur alliage présentait un état recristallisé, souvenir du dernier recuit. Leurs cristaux portaient aussi l'empreinte du travail en déformation : des stries appelées macles mécaniques. Comme les cristaux reprennent leur forme à chaque recuit, les macles sont la trace de la dernière déformation. Par contre, certaines impuretés sont insensibles à la montée en température et mémorisent toute l'histoire du matériau. Ce sont les sulfures, que l'on distingue en gris sur la coupe et dont la forme et l'orientation suivent le sens de la torsion.
Les joncs de ces torques ont donc été façonnés à partir de barres de bronze de section quadrangulaire auxquelles on a fait subir une rotation. Cette conclusion a été confirmée par une expérimentation pratiquée sur deux petites barres en bronze, de section carrée de 4 millimètres de côté, auxquelles on a appliqué ce traitement. Les éprouvettes ont pris la forme des joncs du ve siècle sans toutefois arriver au resserrement extrême que leurs spires atteignent parfois pour des sections beaucoup plus grandes. Cette expérience a aussi permis d'estimer le temps de travail nécessaire au façonnage d'un jonc en montrant qu'un recuit de 10 minutes s'impose tous les deux tours environ. Il faut donc environ une douzaine d'heures pour fabriquer un jonc torsadé comportant 80 tours.
Les observations métallographiques ont été couplées à des analyses de composition. Les résultats montrent que les alliages des torques de l'Aisne sont parfaitement maîtrisés, ils sont homogènes (monophasés), et composés d'une proportion très régulière de cuivre : environ 90 p. 100 pour 10 p. 100 d'étain ; un compromis parfait pour obtenir un alliage qui conserve de bonnes capacités de déformation. Certains torques contenaient cependant une forte proportion de plomb, une adjonction manifestement volontaire et, à première vue, inexplicable. Ce métal n'étant pas miscible dans l'alliage, il semblait introduire un facteur d'hétérogénéité supplémentaire. De nombreux exemples de bronzes au plomb sont connus pour les périodes protohistoriques mais, contrairement au cas des torques qui nous occupe, le plomb était utilisé pour remplacer une partie de l'étain, très rare. Dans les torques, au contraire, les proportions d'étain restent identiques : 10 p. 100 d'étain, pour 80 p. 100 de cuivre et 10 p. 100 de plomb. On sait que le plomb a la propriété d'abaisser la température de fusion de l'alliage. Mais la qualité des alliages protohistoriques prouve que le problème des hautes températures est résolu dès l'Âge du bronze, la réduction du minerai de fer nécessitant en outre d'atteindre et de maintenir des températures incomparablement plus hautes. On pense donc que le plomb rend l'alliage plus malléable, mais, la recherche métallurgique moderne n'ayant jamais exploré les propriétés de déformation du bronze, cela reste encore une supposition.
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Écrit par
- Cécile BRETON : archéologue, attachée à l'UMR 7041 du C.N.R.S., protohistoire européenne
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Média