ARTS DE LA RUE
Plusieurs catégories de spectacles instaurent un rapport direct à l'espace public. Le théâtre itinérant, dont le véhicule suit l'histoire de l'art dramatique en Occident, connaît une résurgence depuis la fin des années 1990, alors qu'il avait presque disparu des routes de France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Un Centre international du théâtre itinérant (C.I.T.I.), installé auprès du Footsbarn Travelling Theatre à Hérisson (Allier) depuis 1999, fédère une cinquantaine de troupes, des majestueux Tréteaux de France au modeste conteur. Dans leurs convois, les chapiteaux et les camions convertis en plateaux ont remplacé les scènes de bois démontables, les subventions des collectivités territoriales compensant les faiblesses de la caisse. Elles perpétuent la vocation du théâtre forain, qui est de quérir le public où il manque d'abri pour s'assembler.
Un art extraverti de la mise en scène, ayant affirmé son audace et son autonomie au long du xxe siècle, explore toutes sortes de lieux couverts ou de sites en plein air pour bousculer les rites de la cérémonie théâtrale et les conventions de la représentation frontale. Dans les grands festivals comme Avignon ou Édimbourg, la ville entière semble parsemée de scènes et parcourue de spectateurs. Châteaux, couvents, collèges, mais aussi granges, fabriques ou halles : il n'est plus de terrain qui ne se prête à l'interprétation de textes classiques ou contemporains.
Enfin, des compagnies issues des différentes disciplines inventent des scénographies qui s'insèrent dans le cadre de la ville et des dramaturgies qui s'inscrivent dans son mouvement, car celle-ci constitue à leurs yeux un vivant espace de jeu. Elles entretiennent avec la cité une relation spécifique et réciproque qui les autorise à revendiquer l'appellation d'arts de la rue. Arts : le mot affiche l'ambition de créer des œuvres plutôt que l'habitude d'animer des fêtes ; quoique les Britanniques parlent de street art au singulier, le pluriel accuse la diversité des sources et la richesse des formes. De rue : mieux qu'un lieu le complément indique un but, des destinataires plus qu'une destination. Il s'agit d'offrir à la foule, dans le décor quotidien de son existence, l'expérience ludique mais consciente de sa puissance d'imaginer. Si extensive soit-elle, cette dénomination ne saurait recouvrir l'ensemble des phénomènes de création artistique en espace public. De l'édifice architectural à la performance chorégraphique, en passant bien sûr par la sculpture et par la musique, aucune discipline n'esquive la confrontation avec la cité. Certains promoteurs des arts de la rue admettent dans leur parentèle des plasticiens tels Arman, Ben ou César, dont les œuvres descendirent sur le pavé, voire comme Rotella, Hains ou Villeglé qui ravirent les leurs aux affiches des palissades. D'autres s'inventent une généalogie qui remonte aux théoriciens du Bauhaus ou aux agitateurs du Proletkult, à Kurt Schwitters ou à El Lissitzky, selon qu'ils insistent sur les dimensions spatiales ou sociales de la projection dans le magma urbain. Ce courant, plus puissant de la Catalogne à la Pologne que sur les autres continents, connut des pionniers en Amérique du Nord et recrute des émules jusqu'en Australie.
La ville comme théâtre
À bien des égards, la France offre un climat propice à son essor depuis les années 1970. La base de données de HorsLesMurs, Centre national de ressources des arts de la rue et de la piste, comptait plus d'un millier de compagnies en 2007, contre 760 en 2000 et 399 en 1990. 47 p. 100 d'entre elles avouaient en 2005 un budget inférieur à 50 000 euros. D'Abus de surface (Marseille) à Zic Zazou (Amiens), la drôlerie des noms n'a d'égale que la variété des techniques. Près de la moitié des structures[...]
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Écrit par
- Emmanuel WALLON
: maître de conférences à l'université de Paris-X-Nanterre, chargé de cours à l'université de Louvain-la-Neuve (Belgique), membre du comité de rédaction des
Temps modernes et d'Études théâtrales
Classification
Médias
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