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ARTS POÉTIQUES, notion de

Une codification de la parole littéraire

Le processus qui conduit à l'élaboration des arts poétiques trouve son origine dans un souci de légitimation de la littérature. On peut déjà constater ce phénomène dans la Poétique d'Aristote, souvent interprétée comme une réponse à la critique platonicienne de la mimèsis. Selon la doctrine de Platon, le monde sensible n'est que l'apparence trompeuse des Idées, essences immuables et éternelles. En tant que mimèsis du monde sensible, l'art n'est donc que l'imitation d'une copie infidèle, et l'artiste un « créateur de fantômes ». Dans son analyse de la tragédie, Aristote prend le contre-pied de ces thèses en attribuant à la mimèsis une finalité à la fois cognitive et morale. Cognitive, parce qu'il estime que le poète tragique ne doit pas se borner à imiter la réalité, mais doit aussi se tourner vers la représentation du possible. Morale, en raison du but même de la mimèsis tragique : la catharsis (« purification », ou « purgation ») des passions qu'elle suscite chez les spectateurs. La floraison de traités d'art poétique à laquelle on assiste entre le xvie et le xviie siècle s'explique en partie par cette même volonté de justification théorique. Les arguments d'Aristote, unis à la revendication horatienne de l'utilité de l'œuvre poétique, servent alors à contrecarrer les positions des apologistes chrétiens qui, par l'intermédiaire de saint Augustin et de son De Doctrina christiana (397-426), s'inspirent de la condamnation platonicienne de la mimèsis. Ils permettent aussi, de façon plus générale, d'attribuer à la littérature des prérogatives qui légitiment son rôle culturel grandissant.

Le caractère prescriptif des arts poétiques est indissociable de cet effort de légitimation. À partir du moment où l'on considère que la création poétique ne se justifie pas par elle-même, mais doit répondre à des finalités spécifiques, il devient nécessaire de fixer un ensemble de critères qui permettent de juger de la valeur d'une œuvre. Ce travail de codification a des répercussions décisives sur les pratiques d'écriture, notamment aux époques où le débat sur le statut et les fonctions de la littérature prend une ampleur particulièrement significative. C'est ce qui se produit en Italie au xvie siècle, lorsque des auteurs comme Gian Giorgio Trissino (1478-1550) et le Tasse (1544-1595) conçoivent leurs œuvres parallèlement à un intense travail de réflexion théorique. C'est également ce qui a lieu en France au siècle suivant, lorsque la publication de pièces de théâtre, de romans ou de recueils de poèmes s'accompagne fréquemment de textes d'inspiration critique ou normative. L'exemple le plus représentatif de cet entrecroisement entre théorie et pratique de l'écriture est l'Art poétique (1674) de Nicolas Boileau.

Si le refus romantique des règles et du principe d'imitation a engendré la fin de la tradition incarnée par les arts poétiques pour faire place à un autre type de réflexion, il n'a pas pour autant entièrement compromis la survie de leur héritage. D'une part, certains écrivains ont continué à utiliser l'expression « art poétique » dans le sens spécifique qu'elle prenait chez Horace et Boileau, pour désigner les poèmes où ils essayaient de condenser leur conception de la poésie (il suffit de penser au célèbre Art poétique de Verlaine) ; mais cette signification a été aussi exploitée par la critique, qui parle d'« art poétique » à propos des poèmes où est défini un programme esthétique, comme Correspondances de Baudelaire ou Voyelles de Rimbaud. D'autre part, le patrimoine de concepts et de notions des arts poétiques traditionnels s'est transmis aux disciplines qui[...]

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